Otis travaillait très rapidement. L'album OTIS BLUE fut enregistré en 
  une période de vingt-quatre heures. Ils commencèrent à travailler à dix heures 
  du matin, enregistrant jusqu'à huit heures du soir où tous les musiciens 
  partaient pour leur concert de la soirée. De retour à deux heures du matin à 
  la fermeture des clubs, ils travaillaient toute la nuit jusqu'à dix 
  heures du lendemain matin. Autant que Duck Dunn s'en souvienne,  
  
  A CHANGE IS 
  GONNA COME, I'VE BEEN LOVING
  
  
  
  YOU TOO LONG, la reprise de 
  
  
  YOU DON'T MISS 
  YOUR WATER
  de William Bell et la version fulgurante de 
  
  ROCK ME BABY
  de B.B. King furent enregistrés pendant cette séance de nuit. (Ecoutez le solo 
  de guitare de Steve Cropper sur ce dernier morceau  peut-être le meilleur jeu 
  de blues qu'il ait jamais enregistré).
 
  
  
  
Walden était tout juste de retour de l'armée et était à la fois en extase et 
  stupéfait par cette séance. "Tout était si parfait. Il savait enfin qu'il 
  était une star. Vous pouviez le sentir. Tout arrivait comme il fallait, 
  en sortant des chansons comme ça [claquement de doigts]. Bien sûr, je ne 
  savais pas que tout le monde ne faisait pas comme ça et  
  
  
  Tom Dowd
  
  
  
  
  dit "Phew, ce 
  mec est un sacré génie". Je dis "Vraiment ?" Je savais que Dowd avait 
  travaillé avec tout le monde et il dit "Je n'ai jamais été dans un studio 
  qu'avec deux autres personnes de cette catégorie", je dis "Oh ! Vraiment, qui 
  ça ?" Il dit "Bobby Darin et Ray Charles" et je dis "Phew, tu te fous de moi, 
  mon Otis ?" Moi je n'avais jamais été dans un studio avec qui que ce soit 
  d'autre que lui et je pensais "Diable, c'est comme ça que tout le monde fait." 
  Il était responsable de tout ça. Quand il a frappé à cette porte..."
  
  
   
  
  
  Deux morceaux de OTIS BLUE méritent encore d'être mentionnés. Pour 
  
  
  
  RESPECT, il suffit de dire que c'est l'une des meilleures compositions 
  rapides d'Otis. Propulsé par les figures pulsées imaginatives de la basse de 
  Duck Dunn et par le son sec des coups de la caisse claire aux 
  quatre-pieds-sur-terre d'Al Jackson (entrecoupés d'éclats de mitraillette), ce 
  morceau est transcendant. La deuxième voix sur l'accroche "Hey Hey Hey" 
  est celle de l'ami de toujours et tourneur, Earl "Speedo" Simms (sur le 45 
  tours c'était William Bell qui faisait les choeurs). A ce moment là, la 
  version single avait atteint les 4èmes et 5èmes places aux hit-parades 
  R'n'B et Pop respectivement. Un an et demi plus tard, Aretha Franklin 
  l'enregistra en une version radicalement différente, avec l'écriture d'un 
  nouveau pont instrumental (utilisant la progression d'accords de 
  
  
  WHEN 
  SOMETHING IS WRONG WITH MY BABY
  de Sam and Dave) et atteint la première 
  place aux deux hit-parades. Deux faces d'une même médaille, différentes comme 
  le jour et la nuit, deux faces séminales de la soul.
  
  
  
  L'enregistrement d'Otis de 
  
  SATISFACTION
  a toujours été controversé. 
  Enregistré quasiment sur les talons de l'original des Stones, il avait été 
  écrit à sa sortie en Europe que les Stones l'avaient volé à Otis (ce qui fut 
  démenti comme une évidente contrevérité). Jusqu'à aujourd'hui certains 
  soutiennent encore que des morceaux "pop" ou "rock" comme 
  
  
  SATISFACTION
  ou 
  
  DAY
  
  
  
  TRIPPER
  ont été imposés à Otis par Stax, 
  Atlantic, les managers d'Otis, n'importe qui, dans le but de cross 
  over 
  
  
  
  
  [15]. 
  Ce genre de puristes, comme il se doit, estime que ce fut le début de son 
  déclin. Les preuves contredisent tout simplement cette théorie. Otis traite 
   
  SATISFACTION comme à peu près tout nouveau morceau qu'on lui confie. Il 
  rugit à travers ce morceau comme un train de marchandises débridé.
  
    
  
    
  
    
  
  
  
  
  L'histoire de la genèse de son enregistrement est l'occasion d'un autre aperçu 
  fascinant du processus créatif chez Stax. Apparemment, Otis fit une courte 
  pause lors d'une séance d'enregistrement pour passer une visite médicale pour 
  des raisons d'assurance. A la recherche de morceaux qui pourraient compléter 
  l'album, Steve Cropper eut une idée de génie : "Ce fut mon idée de le faire. 
  J'allais au comptoir du magasin de disques [Satellite Record Shop, possédé et 
  géré par Jim Stewart et Estelle Axton], obtenais un exemplaire du disque, le 
  fis écouter au groupe et notais les paroles. Vous pouvez remarquer que sur 
  "Satisfaction" Otis dit "-fashion"
   
  
  [16] 
  au lieu de "-faction." Pourquoi le changer, ça c'est Otis, c'est le 
  DICTIONARY OF SOUL 
  
  
  [17]. 
  "I can't get no satisfashion", j'adore ça. C'est ce qui le rendait si 
  unique, il bousculait tout ça sans s'en rendre compte. Il ne connaissait tout 
  simplement pas cette chanson. Autant que j'en sache, il ne l'avait jamais 
  entendue."
  
  
  Phil Walden confirme : "Otis avait à peu près parcouru les paroles une ou deux 
  fois et puis il sauta tout simplement en plein dans le truc. Ce fut un 
  enregistrement vraiment spontané. Il n'avait jamais entendu la version des 
  Rolling Stones."
  
  
  Les 
  morceaux choisis de OTIS BLUE qui sont inclus ici sont complétés par 
  l'original de Redding 
  
  OLE MAN TROUBLE
  et par une reprise du morceau de 
  Solomon Burke 
  
  DOWN IN THE VALLEY. Sur le premier, remarquez l'ouverture 
  de Cropper à la slide guitar 
  
  
  [18] 
  et comment sont imbriquées toutes les parties de l'arrangement. La batterie 
  pilonnante conduit à des cuivres suppliants qui laissent la place à un orgue 
  qui broie du noir et ainsi de suite. Les paroles furent écrites par un vieil 
  ami d'Otis, de Macon, Sylvester Huckaby.
  
  
  La reprise par Otis de  
  
  DOWN IN THE VALLEY
  provient probablement de la 
  tournée qu'il venait de conclure avec son auteur, Solomon Burke. L'atmosphère 
  Nouvelle-Orléans de la version originale de Burke est préservée par le jeu de 
  piano, pendant que Steve Cropper déclenche encore une fois un break 
  accrochant juste avant le pont. On ne peut en dire assez ni de la section 
  cuivre des trompettistes  
  
  Wayne Jackson
  et Gene "Bowlegs" Miller, du 
  saxophoniste ténor  
  
  Andrew Lowe
  et du saxophoniste baryton Floyd Newman ou de 
  la section rythmique de Duck Dunn et Al Jackson. Otis avait la chance d'être 
  accompagné sur disque par le meilleur groupe de soul jamais mis en 
  place.
  
  
   
                        
  
  
  
  The Mar-Keys horn section
  Joe Arnold, Wayne Jackson, Andrew Lowe
  
  I CAN'T 
  TURN YOU LOOSE 
  fut à l'origine distribué sous la forme d'un single. Typique de 
  l'approche d'Otis d'écrire et d'enregistrer, il était arrivé à la séance 
  d'enregistrement avec juste une idée pour la partition des cuivres, le 
  tempo, les paroles "hip shakin' mama I love you" 
  
  [19]
    
  et le titre. Le reste fut improvisé sur place. Otis partagea son titre 
  d'auteur compositeur avec Cropper et McElvoy Robinson, ce dernier étant le 
  bassiste et le leader du groupe qui accompagnait Otis en tournée à 
  l'époque. (D'après Phil Walden, Otis avait mis le nom de Robinson comme une 
  espèce de faveur, pour l'encourager à écrire.) Le même partage d'auteurs 
  compositeurs s'applique à la ballade suivante  JUST ONE MORE DAY. 
  Arborant une mélodie à couper le souffle,  JUST ONE MORE DAY, aux côtés 
  de  GOOD TO ME,  
  CIGARETTES AND 
  COFFEE  et 
  CHAIN GANG proviennent 
  tous de THE SOUL ALBUM de 1966.
  
  Pour ce qui est de 
  I CAN’T TURN YOU LOOSE, Steve Cropper avait participé à son écriture mais 
  on avait oublié de l’en créditer. Quand il voulut rectifier le tir, Phil 
  Walden ne le crédita que de la composition du single mais pas de la 
  version de l’album. Ce qui veut dire qu’il ne reçoit pas de royalties des 
  nombreuses reprises de ce morceau par d’autres artistes. A ce jour il en est 
  encore irrité. C’est aussi le premier morceau sur lequel Joe Arnold remplace 
  Gene Parker. Parker faisait partie des cuivres des Mar-Keys depuis un an et 
  demi. Excellent musicien, il était malheureusement mentalement instable. 
  D’après Arnold, il perdit la tête le jour où il rentra chez lui et trouva sa 
  femme au lit avec une autre femme. Depuis quatre mois, Arnold jouait au Lil’ 
  Abner’s Rebel Room (La Chambre Rebelle de P’tit Abner) dans un groupe 
  qui comprenait Parker, Duck Dunn, Ronnie Stoots, Robert Talley et Wayne 
  Jackson. Ce fut Dunn qui l’amena à sa première session chez Stax.
  
  
  La reprise saccadée, pour ne pas dire hachée, de 
  
  PAPA'S GOT A BRAND NEW BAG
  de James Brown est une version raccourcie 
  
  
  
  [19bis], sortie sous forme de single, 
  de l'album live OTIS REDDING IN PERSON AT THE WHISKY A GO-GO enregistré 
  en avril 1966 mais sorti après sa mort. Single sorti à titre posthume, 
  cet enregistrement d'Otis eut un grand succès à la fois aux hit-parades R'n'B 
  et Pop, atteignant les places 10 et 21 en décembre 1968. Le groupe qui 
  l'accompagne en tournée qu'on peut entendre ici n'est clairement pas à la 
  hauteur des MGs et des cuivres des Mar-Keys, il est faible rythmiquement et 
  sonne presque faux. Néanmoins, l'impression est inimitable. Otis dominait quel 
  que fut son environnement.
  
  
  Pour l'enregistrement au "Whisky", Otis avait fait répéter le groupe de deux 
  heures du matin jusqu'à dix heures du matin. Tout le monde dormit jusqu'à 
  quatre heures et répéta encore jusqu'à l'heure du spectacle. Les 
  représentations étaient magiques, avec les cognoscenti de la musique et 
  de l'industrie cinématographique de Los Angeles surgissant pour voir le Roi de 
  la Soul Music nuit après nuit. 
  La production 
  officielle de ce disque live était censée être de Nesuhi Ertegun de 
  Atlantic, mais c’est en fait Al Jackson qui l’assura. Un deuxième disque 
  live fut issu de ce même concert en 1982 puis une version différente en 
  1993.
  
   Le 
  17 Juin 1966 commença une semaine de concerts de la Stax Revue à 
  l’Apollo de New-York avec Sam and Dave, Otis Redding, Carla Thomas, Rufus 
  Thomas, the Mad Lads et Johnnie Taylor. Les MGs restés à Memphis, 
  l’accompagnement fut assuré par le groupe de l’Apollo, le Reuben Phillips 
  Orchestra. Le show fut appelé le"Rocky G ‘s Boogaloo 
  Spectacular " 
  [19ter], du nom du disc jokey 
  co-promoteur de l’évènement. Le samedi soir, ce show fut complété par un 
  défilé de mode assuré par des adolescents et des adolescentes portant les 
  derniers vêtements à la mode « boogaloo » et des cours de boogaloo étaient 
  prévus. Al Bell sourit en disant : "c’est comme ça que 
  New-York fut conquise".
  
  GOOD TO ME 
  est un autre exemple de la capacité d'Otis à écrire avec n'importe qui sur 
  n'importe quoi. Il avait écrit la musique plus tôt et, alors qu'il traînait 
  chez Stax, il mentionna à Julius Green du groupe vocal The Mad Lads, qu'il 
  n'avait pas de paroles. 
  
  Green suggéra, de tête, "I don't know what you got baby, but it sure is 
  good to me." 
  
  
  
  [20]
  Et, ensemble, les deux finirent la chanson.
  
  CIGARETTES 
  AND COFFEE 
  est une autre ballade du genre "trois-heures-du-matin-quand-tout-est-calme." 
  La confiance d'Otis traduite en un certain calme qui s'infiltre ici, ainsi que 
  dans  CHAIN GANG. Ce dernier est l'un des enregistrements les plus 
  relaxés. Instrumentalement, le groupe de la maison Stax est encore plus uni 
  que d'habitude. C'est certainement l'un des meilleurs moments d'Al Jackson en 
  tant que batteur. Ecoutez le travail de grosse caisse alors qu'Otis chante. "All 
  day long you hear them... ooh.[21]" 
  Simple mais extrêmement efficace.
  
  
   
  
  
  La dernière année et demi de sa vie, le style d'Otis et celui du groupe de la 
  maison Stax avaient atteint leur pleine maturité. Le néophyte anxieux et 
  suppliant qui avait enregistré  
  
  THESE ARMS
  
  
  
  OF MINE
  et 
  
  PAIN IN MY 
  HEART
  avait ouvert la voie à une superstar suprêmement confiante qui, bien 
  que contrôlant son ego, était aussi parfaitement consciente d'avoir le monde 
  dans la paume de sa main.
  
  
  Une preuve de plus : l'une des quelques ballades de cette dernière période, la 
  délicieuse  
  
  MY
  
  
  
  LOVER'S PRAYER. Une ballade en 6/8 comme aux premiers 
  jours, le clavier d'Isaac Hayes jouant en tandem avec la guitare de Cropper, 
  accompagné par le rythme à contre temps et délicatement décalé d'Al Jackson, 
  une basse toute en retenue et une mélodie plaintive des cuivres. Otis parle à 
  moitié pendant tout le morceau, glissant au passage quelques bribes de son 
  fameux trémolo. Chanter une ballade ne peut tout simplement pas se faire mieux 
  que ça. 
  MY LOVER'S 
  PRAYER 
  atteint la 10ème place du hit-parade R&B et la 61ème du 
  hit parade pop en Mai 1966, terminant une belle série après que I CAN’T 
  TURN YOU LOOSE ait atteint les 11ème et 85ème places 
  fin 1965 et que SATISFACTION ait atteint les 4ème et 31ème 
  places en Février 1966.
  
  IT'S 
  GROWING 
  est l'une des rares reprises par Stax/Volt d'une chanson de Motown. 
  Originellement enregistré par les Temptations, entrant simultanément dans les 
  hit-parades Pop et R'n'B en avril 1965, Otis et l'équipe de Stax/Volt 
  concoctent, comme de bien entendu, une version plus dure et moins confuse. Le
  riff d'ouverture, syncopé, à la grosse caisse, à la caisse claire, à la 
  basse et aux cuivres, entremêlé du motif à contre temps d'Al Jackson à la 
  cymbale charleston est d'un goût au-delà de toute comparaison. Ecouter 
  les deux versions l'une après l'autre permet une compréhension saisissante des 
  esthétiques de Motown et de Stax, les deux centrales à énergie de la musique 
  noire dans les années 1960, chacune à son sommet respectif.
 
  
  
  
                  
  
 
  
  IT'S 
  GROWING 
  fut enregistré pendant les séances de 
  
  THE SOUL ALBUM. 
  MY LOVER'S 
  PRAYER, 
  bien qu'enregistré avant, finit sur le dernier album d'Otis de 1966, 
   THE 
  OTIS REDDING 
   DICTIONARY OF SOUL : COMPLETE AND UNBELIEVABLE, sorti 
  le 15 octobre 1966. Avec OTIS BLUE, DICTIONARY OF SOUL fut souvent cité 
  comme un chef d'oeuvre parmi les albums d'Otis et, en effet, plusieurs 
  décennies plus tard, il demeure comme une réussite imposante, avec les mots du 
  critique Jon Landau : "Le meilleur disque jamais sorti de Memphis et 
  certainement le meilleur exemple de soul moderne jamais enregistrée."
  
      
   
  
  
  Neuf de ses morceaux sont inclus ici mais deux,  
  
  FA-FA-FA-FA-FA (SAD SONG)
  
  
  
  
  et 
  
  TRY A LITTLE
  
  
  
  TENDERNESS
  sont des tournants particulièrement 
  importants qui méritent une attention particulière. 
  
  
  FA-FA-FA-FA-FA (SAD 
  SONG),
  
  
  qui atteint les 12èmes et 29èmes places aux hit-parade R&B et pop 
  respectivement, 
  
  était encore un de ces morceaux biographiques de Steve Cropper sur 
  Otis, avec le titre de la chanson comme le résultat de l'habitude d'Otis de 
  fredonner ou de chanter les parties de cuivres avec des syllabes. (La deuxième 
  voix sur le "fa-fa-fa-fa-fa" est celle du parolier de Stax, David Porter). Les 
  cuivres étaient importants pour Otis et pour le son de Stax/Volt quasiment 
  depuis le début mais ils ne sont peut-être pas plus centraux que dans ce 
  disque. Il n'est généralement pas connu qu'Otis est, en grande partie, 
  responsable du son des cuivres de Stax. Le saxophoniste baryton Floyd Newman 
  explique : "Otis avait toujours les arrangements les plus compliqués dans sa 
  tête. Ils étaient différents et super compliqués. Il avait toutes ces choses 
  dans sa tête parce qu’il jouait de la guitare et il bricolait avec et qu'il 
  inventait toutes ces partitions. Il travaillait toujours ses trucs dans le bus 
  pendant les voyages. Il connaissait chaque note et chaque trou à chaque 
  endroit. Il savait où il allait sur chaque chanson, sur quel temps il voulait 
  que chaque ligne se termine. Il pouvait juste arriver et la chanter. Il n'y a 
  pas beaucoup de mots sur les disques d'Otis mais il y a beaucoup de phrases de 
  cuivre. James Brown fit la même chose mais les phrases de cuivre d'Otis 
  étaient très différentes de celles que James créait. Elles étaient plus 
  compliquées, rythmiquement et harmoniquement. Otis écrivait toujours dans des 
  tonalités comme La, Mi ou Fa dièse, les tonalités que personne n'utilisait. 
  Les tonalités en dièse sont géniales mais personne ne s'y frotte trop. Cela 
  donnait à ses chansons beaucoup de force et d'énergie et vous donnait envie de 
  claquer vos doigts. Il disait toujours "Floyd, si tu écoutes la chanson et que 
  tes épaules ne bougent pas, c'est qu'elle n'a pas de groove"."
  Duck 
  Dunn le dit à sa façon : "Je suis le genre de personne, 
  si la chanson ne me fait pas danser ou prendre une fille dans mes bras, ça ne 
  vaut rien. Je pouvais fermer les yeux et voir un groupe de guerriers autour 
  d’un feu avec des peintures de guerre et ce genre de merde"
  
  
   
  
  
  Le saxophoniste ténor Andrew Love continue : "Il plaçait aussi les cuivres à 
  des endroits bizarres. Quelquefois c'était difficile de sentir où il les 
  voulait quand il les chantait. Nous arrivions quelquefois et nous n'avions pas 
  entendu la chanson avant mais lui, il avait passé toute la nuit éveillé à 
  travailler dessus et il sentait les cuivres à un endroit précis. Nous disions 
  "attend une minute" mais après l'avoir joué une fois en entier, tout se 
  mettait en place. Ca collait."
  
  
  Cropper finit par développer sa propre conception des partitions de cuivres en 
  travaillant avec Otis. "Il m'a incité à me lancer. Il m'a appris tout ce que 
  j'ai jamais appris en matière de cuivres. C'était tellement intéressant à 
  faire que plus tard je finis par écrire beaucoup des partitions des cuivres 
  pendant qu'il se concentrait sur les chansons." Curieusement, personne ne sait 
  vraiment d'où vient la conception des partitions des cuivres d'Otis. Personne 
  ne peut citer d'influence ni se souvenir d'Otis commentant les arrangements de 
  cuivres d'autres personnes.
  
  Une autre marque de 
  fabrique du son Stax des années soixante sont les interludes de cuivres qui 
  prennent la place qu’aurait prise des solos sur d’autres enregistrements. Ces 
  phrases préarrangées peuvent s’entendre sur IN THE MIDNIGHT HOUR ou 
  KNOCK ON WOOD. D’après Wayne Jackson, « Otis les appelait 
  " ensambos "
  
  [21 bis].
  "Met-moi un de ces ensambos par ici. " 
  Je crois que nous avons eu l’idée par Otis et nous l’avons  ensuite utilisée 
  avec d’autres artistes parce que ça marchait si bien et qu’on aimait bien le 
  faire."
  
  D'après 
  Wayne Jackson, Otis était très physique dans le studio. "Mec, tu peux me 
  croire. Il fallait 
qu'il ait ses deux doses de "Right Guard" 
  
  [22] 
  pour qu'il reste calme. Je veux dire que le mec était physique. Emotif et 
  physique. Otis était une personne hors du commun. Il aurait été hors du commun 
  qu'il ait été un boxeur, un joueur de football, un chanteur ou un prêtre. Il 
  avait ce genre de chose, comme un ego impulsif énergétique. Nous l'adorions 
  tous. Bon Dieu, nous l'adorions vraiment." [Wayne chante la phrase de cuivres 
  de FA-FA-FA-FA-FA] "Il nous chantait toutes ces choses aussi 
  naturellement que n'importe quoi. C'est comme ça qu'elles arrivaient. Il 
  adorait les cuivres. Il courait de son micro de chant vers là où les cuivres 
  étaient et faisait [il chante  I CAN'T 
  TURN YOU LOOSE], vous brandissait 
  son poing en chantant ces phrases et c'était tout simplement électrisant. Il 
  se mettait juste en face de vous avec ce gros poing en l'air et paradait et 
  vous chantait ces choses jusqu'à ce que vous ayez de l'écume à la bouche. Il 
  arrivait à vous exciter à ce point. C'était à peu près comme ça qu'il arrivait 
  à nous inspirer. Nous jouions exactement ce qu'il chantait et cela devenait la 
  partition de cuivres de la chanson. Nous peignons simplement une peinture pour 
  qu'il puisse y danser." 
  "Otis 
  se donnait à dix mille pourcent » ajoute All Bell. « Il perdait du poids en 
  studio. Il arrivait en studio et enlevait le haut parce qu’il faisait si chaud 
  dans ce studio et il chantait jusqu’à ce que la sueur ruisselle de lui comme 
  si quelqu’un lui jetait des seaux d’eau."
  
  
  Aussi intense que la séance puisse devenir, Otis réussissait toujours à créer 
  une atmosphère positive entre les musiciens de Stax. Floyd Newman se souvient 
  : "Certains artistes sont si intenses avec ce qu'ils font qu'ils rendent tout 
  le monde négatif mais, quand Otis arrivait, il apportait du bonheur et des 
  sourires. Il riait pendant tout le temps où il jouait et si vous ratiez un 
  passage il ne s'en énervait pas. Il riait et disait "tu y arriveras." Et si 
  nous étions lents à piger, il prenait sa guitare et jouait. C'était des 
  moments heureux, des moments heureux." 
  Jim 
  Stewart le résume de la meilleure façon : "Otis Redding 
  était comme une potion magique. Quand il arrivait dans le studio, le studio 
  s’éclairait et tous les problèmes et les angoisses disparaissaient. Vous 
  saviez que quelque chose de bon allait se produire. Il apportait avec lui 
  cette excitation. Otis était totalement créatif, totalement positif. Tout le 
  monde voulait être là quand Otis arrivait. C’était comme de la magie."
  
   A cette époque, il y 
  avait de la magie à Stax. "Pour moi c’était comme aller 
  à l’église tous les jours" témoigne Cropper.
  "Vous passiez ces portes à Stax, vous laissiez dehors 
  tous les problèmes derrière vous. C’était comme aller à l’église. Je 
  travaillais parfois dix-huit heures par jour et je n’ai jamais eu ne serait-ce 
  que l’idée d’être fatigué. Je voulais être là tout le temps."
  
  
   TRY A 
  LITTLE TENDERNESS, 
  après 
   (SITTIN' ON) THE DOCK OF THE BAY, 
  deviendrait l'enregistrement le plus célèbre d'Otis. 
  
  Ecrite par les anglais 
  Reg Connelly et James Campbell et par l’américain Harry Woods, cette chanson a 
  une longue histoire. Le clarinettiste et chef d’orchestre blanc Ted Lewis fut 
  le premier à en enregistrer une version à succès. En Février 1933, 
  l’enregistrement de Lewis pour Columbia atteint la 6ème place du 
  hit-parade pop. Un mois plus tard, la star de Broadway Ruth Etting fit entrer 
  à la 16ème place du hit-parade sa version enregistrée pour Melotone. 
  Bing Crosby l’enregistra en Janvier pour Brunswick mais sa version n’eut pas 
  autant de succès . Frank Sinatra enregistra encore une autre version pop au 
  milieu des années quarante.
  
   En 
  1962, Aretha Franklin enregistra la première version connue de cette chanson 
  par un artiste noir pour son deuxième album chez Columbia, "The 
  Tender, The Moving, The Swinging Aretha Franklin" et, plus tard, deux de ses couplets furent repris par Sam 
  Cooke dans un medley 
  
  
  [23] 
  avec FOR SENTIMENTAL REASONS et YOU SEND ME sur l'album AT 
  THE COPA. 
  
  Columbia tentait de vendre Aretha comme une chanteuse pop et, par conséquent, 
  lui faisait chanter de telles chansons populaires
  
  
  [23bis] avec des arrangements pop remplis de violons. Ces disques étaient 
  encore bien loin de ses futurs succès rythm and blues de chez Atlantic, 
  en termes d’instrumentation, arrangements et styles d’interprétation. 
  Néanmoins, Franklin ne peut pas complètement cacher son éducation gospel et, 
  par conséquent, en partie au moins, transforme la chanson comparée aux 
  enregistrements de Crosby ou de Sinatra. Sam Cooke décida de chanter cette 
  chanson au Copa, le nightclub de la haute société de New-York, pour des 
  raisons similaires que celles qui avaient motivées Columbia de suggérer à 
  Franklin de l’enregistrer. En jouant au Copa et en modifiant son répertoire 
  pour l’occasion, Cooke essayait de plaire à un public plus âgé, blanc, de 
  classe moyenne ou supérieure. Sur une suggestion de Phil Walden, Otis l'apprit par l'album de 
  Cooke, ce qui explique pourquoi il ne connaissait que deux couplets des 
  paroles. Peu importe. Avec Otis, les paroles n'étaient presque toujours que de 
  simples véhicules pour ses déclamations vocales. Il pouvait les inventer aussi 
  facilement qu'il pouvait les lire sur le papier. Otis renversa complètement 
  les versions de Crosby et de Cooke, réécrivant vraiment, au passage, toute la 
  chanson.
  
  
   Walden pensait que c'était peut-être le plus grand don 
  d'Otis. "Il avait la capacité incroyable de bouleverser complètement les 
  choses. Un bon exemple est 
   TRY A LITTLE TENDERNESS. C'était quand nous 
  parlions de chansons de carrière qui lui auraient permis d'être invité au Ed 
  Sullivan Show 
  
  [24]
  ou de jouer au Copa 
  
  
  [25]. 
  Ces choses étaient terriblement, terriblement importantes. C'était des signes 
  de succès. Je me souviens qu'il m'appela tard, une nuit [je n'étais pas allé à 
  cette séance] et qu'il me dit "Tu sais, cette *!#%* de chanson pour laquelle 
  tu m'as poussé au cul pour que je l'enregistre ?" Je dis "Laquelle ?" Il dit "TRY 
  A LITTLE
  
  TENDERNESS." Je dis "Ouaip ?" Il dit "J'ai enregistré cette 
  *!#%*. C'est une  putain de chanson flambant neuve." Il pouvait bousculer les 
  choses... il pouvait les entendre d'une façon tellement différente."
  
  Pour la petite 
  histoire, Cropper dément catégoriquement que Otis Redding ait pu parler comme 
  ça et qu’il n’aurait jamais utilisé ce mot 
  
  [25 bis].
  
  
  L'arrangement était effectivement radical, pour Stax, pour le R'n'B ou pour la 
  musique pop. Isaac Hayes en avait fait la plus grande partie, dont le 
  début en trois parties de contrepoints de cuivres 
  
  (inspiré par la partie de cordes sur A CHANGE IS GONNA COME de Sam 
  Cooke)
  et le break de 
  cymbale au climax 
  (que Hayes 
  réutilisera sur le THEME FROM SHAFT) 
  [25ter].
  
  
  La deuxième partie de la chanson, avec les quarts de temps 
  d'Al Jackson frappés sur le bord de la caisse claire, arriva accidentellement 
  alors que le batteur frappait nonchalamment pendant qu'Otis esquissait la 
  chanson. "Al suggéra de casser le rythme," se souvient Booker T. Jones. "Et 
  Otis prit ça et continua avec. Il devint très excité quand il comprit ce qu'Al 
  allait faire à la batterie. Il trouva comment il pourrait finir la chanson, 
  qu'il pourrait la commencer comme une ballade et la finir pleine d'émotion. 
  C'est comme ça que beaucoup de nos arrangements se mettaient en place. Avec 
  quelqu'un qui suggérait quelque chose de complètement scandaleux." Booker y 
  contribua avec la ligne descendante au piano qui marque la moitié du premier 
  couplet et Gilbert Caples joua l'obligato de saxophone.
 
  
  
   
 
  
  
  Olympia - Paris 1966 
 
  
  
  Pour Jim Stewart, le propriétaire de Stax 
  
  TRY A LITTLE TENDERNESS
  fut 
  l'apogée. "TRY A LITTLE TENDERNESS, c'est ma préférée. De toutes les 
  choses qu'il fit jamais, du point de vue du producteur, tout, la manière dont 
  elle est disposée, de bas en haut, c'est la meilleure qu'il ait jamais faite. 
  La partie de batterie m'a toujours tué parce que Jackson était comme un 
  métronome de la façon dont il changeait de tempo. Je défie n'importe quel 
  batteur de faire ça exactement de la même manière. C'est l'un de mes disques 
  Stax préféré de tous les temps. Du début à la fin c'est comme si l'histoire de 
  Stax était enveloppée dedans."
  
  
  Jim Stewart a raison. 
  
  TRY A LITTLE TENDERNESS
  est peut-être le meilleur 
  enregistrement Stax de tous les temps. Tous les quatre membres des MGs plus 
  Isaac Hayes à l'orgue et les cuivres des Mar-Keys jouant à leur tout meilleur 
  niveau, leurs interactions étant pure alchimie. Comme avec de nombreux 
  enregistrements de Redding, le clou est la section ad-lib qui prend la 
  dernière minute de la chanson. La plupart des ad-libs d'Otis duraient 
  encore et encore jusqu'à ce que Jim Stewart baisse le son sur la table 
  d'enregistrement. 
  Il ne faut pas 
  oublier que les enregistrements à Stax étaient encore faits en direct avec 
  tout le monde qui jouait en même temps et qu’une partie du travail de Jim 
  Stewart consistait à sauter sur les potentiomètres pour régler le volume, pour 
  renforcer certains instruments au bon moment et compenser les différents 
  niveaux sonores générés par les musiciens individuels.
  
  Wayne Jackson commente sur le degré de leurs préméditations : "Ils n'étaient 
  pas répétés exactement comme il allait les faire, il était juste né pour faire 
  ça. Il n'y a pas d'entraînement pour devenir aussi bon. Nous ne nous 
  inquiétions pas à mort sur une chanson, en tout cas pas quand Otis était là. 
  On pouvait être inquiet pour un passage ou pour retranscrire une émotion 
  correctement mais quand il commençait à chanter, mec, on l'avait. Il était un 
  maître absolu, très régulier, très professionnel."
  
  
  Otis avait rarement besoin de plus de deux prises, mais quand c'était le cas, 
  comme on peut s'y attendre, les ad-libs étaient assez différents. Jim 
  Stewart avait remarqué qu'il valait mieux avoir la bonne prise assez tôt parce 
  qu'à chaque répétition les ad-libs devenaient de plus en plus 
  flamboyants jusqu'au point où ils devenaient excessifs. 
  En tout, 
  TRY A LITTLE 
  TENDERNESS 
  prit trois prises. Le résultat final fut une 4ème place au 
  hit-parade R&B et une 25ème au hit-parade pop. Atlantic fut donc 
  obligée de prendre une page entière de publicité dans Billboard du 7 
  Janvier 1967, proclamant que c’était "son plus grand 
  succès... de son plus grand album."
  
  
  
 
  
  
   
 
  
  
  Olympia - Paris 1966 
 
  
  
  Otis 
  semblait s'amuser pendant l'enregistrement de DICTIONARY OF SOUL. 
  D'après Phil Walden, 
  
  I'M SICK Y'ALL
  (co-écrit par Redding, Cropper et 
  David Porter) arriva après qu'Otis ait été brièvement hors service à cause 
  d'une maladie. La chanson est très riche, atteignant son climax après le 
  deuxième couplet quand Otis bégaye "Somebody... sick... uh... bad shape... 
  pain... trembling y'all" 
  
  
  
  [26] 
   
  semblant forcer pour sortir les mots, transformant ce qui a priori n'est 
  qu'une phrase drôle et triviale en une évocation frappante de la tristesse, 
  puis en se relâchant. Il fait subir le même traitement à la chanson suivante 
  
  SWEET LORENE, une gambade dominée par l'orgue, co-écrite par Isaac 
  Hayes, Al Bell et Otis.
  
  
  Otis appréhenda le morceau suivant, 
  
  
  DAY TRIPPER, d'une manière 
  semblable à celle qu'il avait utilisée pour donner une nouvelle forme à 
  
  
  
  SATISFACTION, en utilisant les paroles des Beatles comme point de départ. 
  L'interprétation en entier est tout simplement celle d'une locomotive 
  échappée. Certains pensaient que ce genre d'interprétation était trop maniéré, 
  qu'Otis se prêtait à une audience pop et blanche. Phil Walden s'exprima 
  sur ce sujet de relatif contentieux : "Il travaillait constamment sur de 
  nouvelles chansons et de nouvelles idées. La dernière nuit où nous étions 
  ensemble, nous sommes restés des heures, réveillés, assis dans la maison d'un 
  ami commun. Il disséquait l'album SERGENT PEPPER des Beatles, essayant 
  de comprendre ce qu'ils faisaient. Il venait juste de rencontrer les Beatles 
  dans un club en Angleterre 
  
  
  
  [26bis]. Moi, Jerry Wexler et Otis étions là et ils étaient 
  en file d'attente et chacun attendait son tour pour s'asseoir et lui parler 
  quelques minutes. Il était le Roi et ils étaient les vassaux. Il appréciait 
  vraiment ce qu'ils faisaient et il trouvait qu'ils étaient exceptionnellement 
  intelligents. Il écoutait encore et encore. Je lui apportais des albums de Bob 
  Dylan et des trucs comme ça. Qu'un noir, du sud et presqu'un chanteur rural 
  écoute un chanteur folk Juif du Midwest, ça peut vous donner une idée..."
  
  
  
                                        
  
  
   
  
  
  Olympia - Paris 1966   
   
   
  
 
  
  
  Walden se souvient de Dylan donnant à Otis un acétate de
  JUST LIKE A WOMAN en espérant qu'il l'enregistre. "Otis dit "il y a 
  trop de *&$#@ mots. Toutes ces queues de cheval, ces queues de poisson, tous 
  ces machins 
  
  [27]." 
  Otis l'aimait et aurait sans doute fini par la faire mais il pensait qu'elle 
  nécessitait un sérieux élagage des paroles. C'était la conscience de gens 
  comme Dylan et d'artistes pop comme les Beatles qui le rendirent 
  beaucoup plus conscient de l'importance des paroles. Vous pouvez vraiment le 
  remarquer avec des chansons comme  DOCK 
  OF THE BAY. C'était un effort 
  tout à fait conscient d'écrire une chanson dont les paroles avaient une forte 
  signification."
  
  TON OF JOY 
  est un arrangement et une interprétation très inhabituelle. Otis chante 
  rarement aussi haut dans sa tessiture. Quand il le fait, cela ajoute à son 
  chant généralement plaintif une dimension supplémentaire. L'ouverture comprend 
  l'une des plus charmantes phrase de guitare de Cropper, arrangée dans le style 
  d'appel et réponse avec les cuivres. Tout simplement hypnotisant.
  
  
  Sans 
  rapport avec I'M A HOG FOR YOU des Coasters, la composition de Redding 
  
  HAWG FOR
  
  
  YOU
  est l'équivalent de 
  ROCK ME BABY. Otis chante le 
  blues aussi ignoble qu'il puisse être, sans accompagnement de cuivres mais 
  plein de cris de goinfre durant le break  "I'm a dirty hawg for you baby
  
  
  [28]," 
  en effet ! Isaac Hayes est au piano, l'omniprésent Al Jackson fournit un 
  travail de batterie exceptionnel, avec goût et retenue, Steve Cropper joue 
  d'une guitare fulgurante et Booker T. fait une rare apparition à la basse.
  
  Stax 
  sortit deux albums d’Otis en 1966 : THE SOUL ALBUM en Avril et 
  DICTIONARY OF SOUL : COMPLETE AND UNBELIEVABLE en Octobre. Le premier, 
  avec un seul tube, était son plus grand succès à l’époque, atteignant la 54ème 
  place sur le hit-parade des albums et la 3ème sur le hit-parade des 
  albums R&B, restant dans ce dernier pendant vingt-huit semaines. DICTIONARY 
  OF SOUL, malgré l’inclusion de 
  FA-FA-FA-FA-FA 
  (SAD SONG) 
  et de 
  TRY A LITTLE TENDERNESS 
  resta à la 73ème place du hit-parade des albums et à la 5ème 
  sur le hit-parade des albums R&B. Sur cet album, Otis interprète aussi un 
  morceau country de Patti Page, TENNESSEE WALTZ
  
  [28 bis]. Avant de mourir, Otis 
  avait mentionné l’idée d’enregistrer un album entier de chansons country. 
  Aussi satisfaisante que l’année 1966 pouvait paraître à Otis, l’année suivante 
  serait celle où il deviendrait enfin une superstar.
 
  
  
   
  
  
  Ensuite, nous arrivons aux duos Otis Redding/Carla Thomas de 
  
  
  KING AND QUEEN, 
  un album enregistré en janvier 1967, quand Carla était à la maison, 
  depuis Washington, pour les vacances 
  
  
  
  [28ter]. A cette époque, les albums-concepts 
  étaient à la mode et c'était l'idée de Jim Stewart d'apparier ses deux 
  chanteurs vedettes. "L'une de mes contributions fut de les mettre ensemble. 
  J'ai du lutter pour y arriver. Ils n'ont pas vraiment sauté de joie à cette 
  idée mais, quand ce fut fait, ils étaient contents. Je pensais que ça aiderait 
  leurs deux carrières artistiques. Carla a toujours été un peu spéciale pour 
  moi puisqu'elle était ma première artiste et je sentais qu'elle avait besoin 
  d'une accélération. Je pensais que la combinaison de sa rudesse à lui et de sa 
  sophistication à elle marcherait. Je voulais l'essayer."
  
  
   
  
  
  Carla Thomas précise : "Il y en avait peut-être un peu [de l'appréhension] 
  puisque j'ai dit "Bon, je suis tellement habituée à chanter ces petites 
  ballades sucrées, je ne sais pas comment je vais finir." Alors j'ai parlé avec 
  Otis et il a juste dit "Et alors, t'es d'Memphis, t'es du Tennessee, tu peux 
  l'faire." On a juste improvisé et ça s'est super bien passé."
  
  
  
TRAMP 
  fut le premier essai, quand les deux chanteurs tâtaient le terrain, se 
  testaient mutuellement et essayaient de voir si la combinaison fonctionnait. 
  C'était l'idée d'Otis de reprendre cette chanson qui avait atteint la 5ème 
  place du hit-parade R'n'B avec Lowell Fulson en 1966. Carla continue "TRAMP 
  est la plus marquante car ce fut la première et à cause de tout ce que 
  j'essayais de faire pour penser à des répliques intéressantes à lui faire. Il 
  avait dit "Traite-moi de tous les noms que tu veux." Je dis "Oh ! Mon Dieu", 
  en essayant de penser à quelque chose à dire. "Hé ! Espèce de campagnard, 
  espèce de ci ou ça." Ca m'a beaucoup aidé. Ca a fait sortir beaucoup de mes 
  talents cachés. J'ai découvert que je pouvais vraiment parler de quelqu'un si 
  je voulais. Je ne savais pas ça jusqu'à ce moment." 
   TRAMP est tout 
  simplement féroce, poussée par le riff contagieux de grosse caisse et 
  de caisse claire de Al Jackson, qu'on entend par lui-même au début et aux deux
  breaks suivants, et alimentée par des riffs insistants de 
  cuivres. Comme le dit Carla "Otis adorait le gros cuivre."
   
  
   
  
  (15)
  Le cross over est le fait, pour un artiste noir, 
  de séduire aussi un public blanc, ou le contraire 
  
  
  
  (16) 
  "La mode"
  
  (17)
  Dictionnaire de la soul
  
  
  (18) 
  Littéralement "la guitare glissante", c'est une façon de jouer de la guitare 
  en posant, à la place de la main gauche, un cylindre en verre ou en métal que 
  l'on fait glisser sur les cordes. Ce style avait été inventé par les esclaves 
  noirs aux Etats-Unis où ils utilisaient un goulot de bouteille...
  
  (19) 
  "La nana qui remue les hanches, je t'aime"
  
  
  (19bis)
  2:32 alors que la version originale est de 4:45
  
  (19ter)
  Le 
  Boogaloo est une danse à la mode à l’époque
  
  (20) 
  "Je ne sais pas ce que t'as bébé, mais c'est juste c'qu'il m'faut"
  
  (21) 
  "Toute la journée vous les entendez... ooh"
  
  
  (21bis) 
   "
  ensambos " 
  est une mauvaise prononciation du mot « ensemble », au pluriel. Ensemble est 
  bien le mot français, utilisé comme vocabulaire de musique classique, mais 
  trop sophistiqué pour Otis qui lui donne un accent sudiste et un nouveau 
  sens !
  
  (22) 
  Une marque de déodorant de la compagnie Gilette, célèbre dans les années 60
  
  
  (23)
  Un 
  pot-pourri de chansons
  
  
  (23bis) 
  Tin 
  Pan Alley standards : chansons populaires. A l’origine, à la fin du 19ème 
  siècle, Tin Pan Alley est l’endroit (de New-York) où étaient rassemblées les 
  maisons de disques et où les compositeurs allaient tenter de vendre leurs 
  chansons.
  
  (24) 
  Une célèbre émission de télévision très regardée (de 1948 à 1971!), qui permit 
  d'étendre considérablement la popularité d'artistes tels que Elvis Presley, 
  Bob Dylan, les Beatles, ou même Mohamed Ali 
  
  (25)
  Le 
  Copacabana, salle de concert et restaurant de New-York, célèbre à l'époque et 
  plutôt destinée à un public plus âgé, plus riche et... plus blanc. D'autres 
  albums "At The Copa" furent enregistrés par, entre autres, Jackie Wilson, The 
  Temptations, The Supremes...
  
  
  (25bis) 
  
  motherfucker: équivalent, dans ce contexte, de "putain"
  
  
  
  (25 ter)
  climax: terme 
  artistique désignant le sommet de l'intensité dramatique d'une oeuvre, pièce 
  de théâtre, morceau de musique, concert... Par extension, point culminant, 
  voire même... orgasme!
  (26) 
  "Quelqu'un... malade... euh... mal en point... douleur... tremblant, vous 
  tous" ["y'all" est typiquement du sud des Etats-Unis]
  
  
  (26bis) 
  La 
  rencontre date de début Mars 1967, juste avant les premiers concerts de la 
  tournée européenne Stax/Volt.
  
  (27)
  "All these pigtails and bobbytails and all that stuff" est 
  difficile à traduire. Otis se moque un peu de la complexité des métaphores et 
  du vocabulaire employé par Bob Dylan dans ses paroles de chansons. 
  
  (28) 
  "Je suis un sale goinfre de toi, bébé"
  
  
  (28bis) 
  
  TENNESSE WALTZ est aussi présente sur l’album de Sam Cooke AT THE COPA...
  
  (28ter) 
  Dans 
  le texte de la pochette, Rob Bowman écrit à tort que c’est juste avant Noël 
  1966.