A sa
sortie,
THESE ARMS OF MINE
ne connut aucun succès sauf un petit peu à San Francisco. Deux ou trois mois
plus tard, John R. de la radio WLAC de Nashville appela Jim Stewart et lui dit
qu’il croyait au succès de la chanson.
Pour s'assurer que
THESE
ARMS OF MINE
serait diffusée, Jim Stewart céda ses droits de production à John R. en échange de son soutien. Avec John R. en tête, le disque, en
quelques mois, atteint finalement la 20ème place du hit-parade R'n'B et la
85ème du hit-parade Pop. La période des dettes à payer était finie, une course
de cinq ans d'intensité que furent les débuts de la carrière d'Otis.
THESE ARMS
OF MINE
allait être le prototype d'une série de ballades qui durerait jusqu'en 1966 et
qui inclurait
THAT'S WHAT MY HEART NEEDS,
PAIN IN MY HEART,
COME TO ME,
CHAINED
& BOUND,
I'VE BEEN LOVING YOU TOO
LONG
et
CIGARETTES AND COFFEE.
"Jim [Stewart] poussait toujours pour la grosse ballade", se souvient Steve Cropper. "Il n'était pas satisfait tant qu'il n'avait pas eu sa ballade, quoi
qu'on fasse. Il adorait les trucs rapides aussi mais il avait besoin qu'Otis
chante ces ballades soul. Et il s'accrochait à cette idée parce que
c'est comme ça que tout avait commencé. Avec Otis il y avait eu deux
influences dans toute sa vie. L'une était Sam Cooke, l'autre était Little
Richard." (Phil Walden ajouterait Elvis à cette liste d'élite) "Little Richard
était un chanteur à rythme rapide, Sam Cooke plutôt un chanteur de ballades.
Alors il passait d'un extrême à un autre." Et en effet, et comme c'était
d'usage pour l'époque, presque chaque 45 tours d'Otis Redding publié de son
vivant associerait une chanson à rythme rapide avec une ballade.
Avec
THESE ARMS OF MINE
qui prit plusieurs mois à atteindre son sommet au hit-parade, la deuxième
séance d'Otis pour Stax ne se produisit pas avant l'été 1963. Deux titres
furent enregistrés, THAT'S WHAT MY HEART NEEDS
et
MARY'S LITTLE LAMB, qui ensemble
constituèrent son deuxième single
[5].
Les deux se trouvent inclus ici. Phil Walden se souvient "Il était beaucoup
plus confiant cette deuxième fois car il avait passé beaucoup de temps en
tournée. Il n'était pas tellement plus sophistiqué mais il commençait à
comprendre ce qui se passait en dehors du circuit des petites universités et
des clubs aux toits de tôle pour noirs du sud."
La séance fut unique à plus d'un titre. Sur les deux chansons Otis chante avec
une voix rauque et passionnée de gospel qui rappelle celle de Archie Brownlee
des Five Blind Boys of Mississippi (le plus proche équivalent séculier
serait le James Brown des débuts, de l'époque de PLEASE PLEASE PLEASE).
A écouter la fin improvisée de
THAT'S WHAT MY HEART NEEDS
on pourrait conclure qu'Otis aurait fait un magnifique chanteur de gospel s'il
avait choisi d'enregistrer dans ce langage.
Deux
choses méritent d'être signalées à propos de
MARY'S LITTLE LAMB. C'est l'une des trois
seules faces B de single d'Otis Redding qui n'apparaît pas sur un LP
[6]
et qui a été très rarement publiée sur des compilations européennes et
japonaises jusqu'à aujourd'hui. C'est aussi la seule chanson d'Otis publiée de
son vivant qui comprenne un groupe vocal pour les choeurs (les choeurs sur
LOOK AT THAT GIRL
et I'VE GOT
DREAMS TO REMEMBER ont été rajoutés après sa
mort). Les voix sont probablement celles des Veltones, un quartet vocal qui
enregistrait ses propres singles sur Sun, Goldwax et Satellite (le précurseur
de Stax) et qui faisait la plupart des choeurs au cours des premières séances
de Stax.
Le
troisième single d'Otis, PAIN IN MY
HEART / SOMETHING IS
WORRYING ME, enregistré quelques mois plus
tard, démontre des progrès encore plus grands. Avec
PAIN IN MY HEART, le
contrôle d'Otis devient central et prépondérant car il utilise sa voix comme
un instrument à vent, tantôt en gonflant et tantôt en diminuant le volume,
avalant des syllabes ou prononçant avec précaution le mot "heart.
[7]"
Remarquez aussi le phrasé, la toujours-plus-subtile hésitation avant de
prononcer quelques-unes des syllabes des paroles. Avec les cuivres qui
constituent un fond plus homogène et les jolis ornements de Steve Cropper
par-dessus et autour de la voix d'Otis, son style classique de ballade se
rapprochait de la perfection.
Quand elle fut publiée pour la première fois en septembre 1963, l'auteur
compositeur était "Redding." Peu après Otis et Stax se virent poursuivis par
une plainte d'Allen Toussaint qui, sous le pseudonyme de Naomi Neville (le nom
de jeune fille de sa mère), avait écrit la chanson RULER OF MY HEART
pour la reine du R'n'B de la Nouvelle Orléans, Irma Thomas. Les chansons
étaient trop proches pour que ce soit un hasard et, après un arrangement à
l'amiable, l'auteur compositeur fut changé en "Neville." Problèmes légaux mis
à part, ce fut à l'époque le plus grand succès d'Otis, à la fois sur le plan
commercial et sur le plan esthétique.
La face
B, SOMETHING IS WORRYING ME,
montre non seulement que la confiance et la finesse d'Otis sont toujours
croissantes mais aussi la maturation des musiciens du studio de Stax. Le
disque s'ouvre sur la caisse claire d'Al Jackson qui déclenche le groove
[8],
suivi par un riff
[9]
irrésistible des cuivres et un morceau de piano de Booker T. Jones
incroyablement brillant et funky
[10].
L'écriture d'Otis devient aussi plus solide. Remarquez le pont à la fin de la
chanson et le break
[11]
de cuivres de huit mesures de long, le premier de son genre sur un disque de
Redding. Tout le monde devait avoir quitté le studio Stax du 926 de la rue
East McLemore particulièrement content ce jour là.
Pour les sessions de
THAT'S WHAT MY HEART NEEDS
et de PAIN IN MY HEART, Otis était venu avec trois membres de son
groupe de tournée : le guitariste et harmoniciste Eddie Kirkland, le
choriste Bobby Marchan de la Nouvelle Orléans et le choriste Oscar Mack. Jim
Stewart accepta de les enregistrer séparément et chacun eut deux singles
sur Volt, mais aucun ne connut de succès.
Tous les morceaux cités ci dessus, plus la face A du cinquième single
d'Otis, l'entraînant
SECURITY,
furent rassemblés avec une série de reprises,
dont deux de ses
idoles, Sam Cooke (YOU SEND ME) et Little Richard (LUCILLE),
sur son premier album
PAIN IN MY
HEART,
publié en février 1964
sur
ATCO et qui atteint la 103ème place au hit-parade au printemps.
SECURITY,
injustement, n'eut presque aucun succès dans les hit-parades alors
qu'aujourd'hui il demeure comme un tournant du début de la carrière d'Otis,
laissant apparaître pour la première fois sa marque de fabrique, la
ponctuation à contre temps des cuivres, en duel à la fois avec les réponses de
la guitare métallique de Cropper et avec la voix d'Otis, après le break
des cuivres. Absolument sublime.
[11b]
COME TO ME
fut la moitié du quatrième single d'Otis. Co-écrit avec Phil Walden, il
est dans le mode des ballades en 6/8 évoqué ci-dessus, avec toujours des
triolets au piano mais avec l'ajout cette fois d'un orgue tout droit sorti de
l'église. C'est aussi l'un des deux seuls morceaux d'Otis, après la première
séance, à ne pas comporter de cuivres. Avec les huit morceaux qui constituent
la face Deux
[12],
COME TO ME fut inclus dans le deuxième LP d'Otis,
THE GREAT OTIS
REDDING SINGS SOUL BALLADS,
publié en mars 1965.
La première session
payée à Isaac Hayes fut avec Otis Redding. "J’avais
peur" raconte Hayes vingt-deux ans après les faits.
" Me voici dans cet endroit où j’avais toujours rêvé
d’être, là où tous ces géants étaient passés ". A
cette date tardive il est difficile de se souvenir si c’était pour
COME TO ME
en Février
1964 ou
pour
SECURITY
en Avril.
YOUR
ONE AND ONLY MAN
et
CHAINED & BOUND
constituèrent le sixième single d'Otis. Les deux sont des compositions
originales, de même que MR. PITIFUL.
Ce dernier titre fut à plusieurs titres un tournant pour Otis. Ce fut son
premier disque à comporter un autre de ses motifs typiques de cuivres, des
séries de huit mesures avec le contre temps accentué. Ce fut aussi la première
collaboration d'Otis en tant que compositeur avec Steve Cropper, et sa
première entrée au Top 10 du hit-parade R'n'B et au Top 50 du hit-parade Pop.
Cropper se souvient "Nous avons écrit cette chanson en dix minutes. Il y avait
un disc-jockey ici qui s'appelait Moohah [A.C. Williams]. Il était sur
WDIA. Il commença à appeler Otis "Mr. Pitiful"
[13]
parce qu’il faisait tellement pitié quand il chantait ses ballades. Alors j'ai
dit "Super idée pour une chanson." J'ai eu l'idée d'écrire là dessus dans la
douche. J'allais chercher Otis. J'y allais et je fredonnais l'air dans ma
voiture. J'ai dit "Hey, qu'est ce que tu penses de ça ?" Nous avons
juste écrit la chanson sur le chemin du studio, juste en tapant nos mains sur
nos cuisses. Nous l'avons écrite en à peu près dix minutes, nous sommes
entrés, nous l'avons montrée aux gars, il a fredonné une ligne de cuivres,
boom nous l'avions. Quand Jim Stewart entra nous avions déjà tout arrangé.
Deux ou trois prises plus tard ça y était."
A cette époque, Jim
Stewart venait de renoncer à son emploi à la banque pour se consacrer à Stax
à plein temps. Peu de temps après, Tom Dowd arriva à le convaincre
d’installer une table de mixage à deux pistes. " Ils
me demandèrent si je n’allais pas perdre leur son "
raconte Dowd en riant. " J’ai dit : voilà ce que je
vais faire : on va intercaler les deux pistes et on va laisser le mono en
bout de circuit, comme ça vous pouvez enregistrer les deux en même temps. Si
vous préférez le mono, pas de problème, mais n’effacez pas les deux pistes ".
Chaque piste était alimentée par l’un des quatre mixeurs Ampex que Jim
utilisait depuis son premier studio à Brunswick. Cela voulait dire que
chaque instrument était sur un canal ou l’autre, ce qui causait des
situations étranges où la voix et son écho se retrouvaient sur le même
canal. Tout cela n’affectait que les albums. L’essentiel des productions du
studio était encore sous forme de singles qui, à l’époque, étaient
exclusivement produits en mono.
Quand il était temps de faire un disque, Otis arrivait en général à Memphis
quelques jours avant la séance. Il s'installait dans un hôtel du centre ville
et parcourait avec Steve ce qu'il avait déjà écrit. D'après les souvenirs de
Cropper, Otis avait toujours de nombreuses idées de chansons. "Il avait en
général dix ou douze, parfois jusqu'à quatorze idées. Quand on se retrouvait
pour la première fois, il écrivait beaucoup. Il disait "Bon, écoute celle-ci,
écoute celle-là." Il me jetait cinq ou six idées dans la première demi-heure.
Je faisais mon choix soit sur le titre soit sur le groove, l'un ou
l'autre." Walden confirme ce que dit Cropper : "Steve finissait, les mettait
en ordre. C'était en ça que Steve était vraiment très bon, à organiser les
chansons d'Otis, à les nettoyer et à l'aider avec les paroles. C'était un
excellent collaborateur." Otis écrivait en général à la guitare et comme il ne
savait jouer qu'avec une guitare accordée à la Vastopol (les six cordes
formant un accord de Mi-Majeur), les possibilités d'accords mineurs étaient
quasiment éliminées de ses chansons. "En général on le suivait" se souvient
Cropper. "Là où ça aurait dû être mineur ça devenait majeur et on le laissait
majeur. Ca créait un son pour nous."
La face B de
MR.
PITIFUL,
THAT'S HOW STRONG MY LOVE IS
de Roosevelt Jamison et Steve Cropper, est l'une des ballades de R'n'B les
plus parfaites de tous les temps. Jamison l'avait originellement apportée à
une audition de Stax un samedi matin, où Steve Cropper avait aidé à réécrire
une partie des paroles. Rien n'arriva néanmoins et Jamison l'apporta à une
autre compagnie de R'n'B, Goldwax Records, où il l'enregistra avec O.V.
Wright. Entre temps Cropper l'avait enregistrée avec Otis. Les versions de
Wright et d'Otis sortirent à quelques jours d'intervalle et les Rolling Stones
l'enregistrèrent peu après, la combinaison de ces versions en faisant
instantanément un classique de soul.
Cette chanson fut
enregistrée à la fin de l’automne ou au début de l’hiver. A Stax cela voulait
dire que la section de cuivres portait des manteaux et des gants. Le studio
n’était équipé que d’un seul radiateur qui était placé à côté de la batterie
d’Al Jackson. " Ce radiateur fonctionnait ",
se souvient Wayne Jackson en riant, " Et Al Jackson
était en T-shirt, transpirant. Nous étions de l’autre côté de la pièce en
imperméables et avec des gants, il faisait si froid là dedans ! "
Quelques autres morceaux furent enregistrés en une seule séance pour compléter
l'album THE SOUL BALLADS
en Mars 1965, le premier album à sortir sur la marque Volt. Il ne monta qu’à
la 147ème place du hit parade des albums pop mais monta à la 3ème
place du nouveau hit parade des albums R&B.
KEEP
YOUR ARMS AROUND ME
fut écrit par le chanteur de country noir O.B. McClinton. A cette
époque il était à l'université et, de temps en temps, il traînait devant Stax
avec quelques autres, pleins d'espoir, essayant de placer leurs chansons.
Bredouille à de nombreuses reprises, avec
KEEP
YOUR ARMS AROUND ME
il essaya une nouvelle approche. Courant vers la copropriétaire de Stax,
Estelle Axton, alors qu'elle quittait le bâtiment, O.B. lui chanta la chanson
dans une imitation parfaite du style d'Otis dans
PAIN
IN MY HEART.
Impressionnée comme il se doit,
Axton et Stewart demandèrent à McClinton de
l'enregistrer a capella sur bande. McClinton se souvient "La fois
suivante j'appris qu'ils l'avaient enregistrée pour l'album d'Otis. J'étais
aussi près du paradis que je pensais jamais pouvoir être."
Estelle Axton et Jim Stewart
Trois
reprises se trouvent aussi sur SOUL BALLADS. La première est une légère
variation autour du succès de 1958 de Jerry Butler avec les Impressions,
FOR YOUR PRECIOUS LOVE,
avec des arpèges au piano de Booker T. et un époustouflant jeu d'ensemble des
MGs. La deuxième est la version d'Otis du Numéro 1 au hit-parade R'n'B et du
top 20 du hit-parade Pop de Jackie Wilson,
WOMAN, A LOVER, A FRIEND, une fidèle
imitation, en plus brute et avec les odieuses cordes et les choeurs qui
gâchaient si souvent les efforts de Wilson en moins. Remarquez le falsetto
d'Otis dans le dernier couplet. Sa capacité à reproduire Wilson donne la chair
de poule. Enfin, HOME IN YOUR HEART
est une frime pure et simple à partir du disque de 1965 de Solomon Burke, avec
en moins quelques-uns uns des soupirs maniérés du King Solomon
[14]
et les choeurs déplacés.
La mi-1965, six mois après la mort de Sam Cooke, vit paraître le premier chef
d'oeuvre incontestable d'Otis Redding, l'époustouflant OTIS BLUE.
Cet
album resta trente quatre semaines consécutives dans le hit-parade des albums
pop jusqu’à atteindre la 75ème place. Il resta des mois dans le
hit-parade des albums R&B et en atteint la 1ère place. Dès ce
moment, Otis devint un " artiste de catalogue ".
Ses albums se vendaient régulièrement, pendant longtemps, atteignant entre
200.000 et 250.000 copies vendues, plutôt que de vendre massivement à sa
sortie et de cesser de vendre aussitôt après.
Plusieurs éléments le démarquent du DICTIONARY OF SOUL de 1966 comme un
classique particulier du canon de Redding. Otis et le groupe de la maison
Stax/Volt ont atteint un nouveau niveau de cohésion, de puissance et de
maturité stylistique. De plus, Otis écrivait des chansons si fortes que, plus
que de simples tubes, elles devenaient les définitions d'un genre. Un choix
particulièrement avisé de reprises complétait les ingrédients, résultant en un
album presque parfait qui a résisté à l'épreuve du temps de façon admirable.
Il est fascinant de remarquer que dans le top 100 des albums de tous les
temps, publié par le New Musical Express anglais à la fin 1985, OTIS BLUE
était toujours classé à la 23ème place. Evidement, l'album qui le rendit
superstar en Europe est toujours chéri là-bas.
OTIS BLUE
est
représenté dans notre compilation. Trois de ses morceaux,
I'VE
BEEN LOVING
YOU TOO LONG,
RESPECT
et
OLE MAN TROUBLE
furent publiées sous deux différentes versions. Toutes furent d'abord
enregistrées en mono pour la sortie en single plusieurs mois avant les
séances d'enregistrement de l'album. Pour OTIS BLUE, le meilleur
ingénieur du son d'Atlantic, Tom Dowd, prit l'avion pour Memphis et brancha
une table d'enregistrement à bande Teac stéréo sur la table de mixage
légèrement antique de Stax. On décida, de façon consensuelle, de réenregistrer
les trois morceaux en stéréo pour leur apparition sur l'album. Quoi qu'il en
soit, cette compilation présente les versions stéréo de l'album.
La plus grande différence se situe entre les deux versions de la ballade
séminale I'VE
BEEN
LOVING
YOU TOO LONG
(co-écrite avec Jerry Butler dans une chambre d'hôtel de Buffalo). En tant que
single, elle représenta le plus grand succès commercial d'Otis jusqu'à
DOCK OF THE
BAY,
elle atteindra les numéros 2 et 21 respectivement aux hit-parades R'n'B et
Pop. Mais aussi bonne soit la version du 45 tours, la version de l'album est
encore meilleure. Otis l'avait interprétée régulièrement sur scène et avait
acquis une bien meilleure sensation de la chanson. Avec un tempo ralenti, le
doublement de l'effet dramatique des pauses, une utilisation plus grande de la
dynamique, des cuivres beaucoup plus puissants et une voix douloureusement
passionnée, c'est l'un des plus raffinés des enregistrements jamais effectués
par Otis Redding.
The Mar-keys
Pour Wayne Jackson, la ligne des cuivres jouait le rôle des choeurs. "Le
cuivre est comme une voix mais vous êtes limités dans ce que vous pouvez
faire. Vous n'avez pas les syllabes alors vous devez utiliser la dynamique
avec discernement. C'est la seule manière que vous avez d'exprimer votre
respiration sans prononcer de syllabe.
I'VE
BEEN LOVING YOU TOO LONG
a de superbes parties de cuivres. Vous pouvez presque entendre les cuivres
prononcer des mots sur le disque. Ils sont aussi utilisés comme des
instruments rythmiques sur les arrêts une vraie ponctuation."
La reprise par Otis du chant du cygne de Sam Cooke
A
CHANGE IS GONNA COME
est toute aussi fascinante. Il est difficile d'imaginer que quiconque puisse
battre Cooke sur son propre terrain mais c'est exactement ce que font Otis et
les MGs, avec l'aide d'Isaac Hayes et des cuivres des Mar-Keys. L'interjection
rythmique sous forme d'un triolet et de deux croches n'est tout juste qu'un
soupir dans la version originale de Cooke ; sur OTIS BLUE elle est
comme un marteau piqueur. Otis est à son meilleur niveau d'ellipse avec des
mots, quelquefois des syllabes, jaillissant de ses cordes vocales à un
instant, avalés ou tronqués au moment suivant. Tout le long du morceau, c'est
l'émotion qui est l'esthétique dominante.
Après deux ballades, nous continuons notre sélection avec une version
accélérée et frimeuse de
SHAKE
de Cooke. La confiance et l'interprétation de Redding, des MGs et des cuivres
des Mar-Keys est tout simplement inimitable et, encore une fois, la version
originale de Cooke, aussi bonne soit-elle, à l'air pâle en comparaison de
celle-ci. Sur de nombreux enregistrements du début de la carrière d'Otis, il
avait l'air hésitant et ne s'en sortait que grâce à son intuition. Ici, il
rugit comme une locomotive. A partir de maintenant, les tempos deviendront
plus rapides ou plus lents ; les extrêmes seront plus apparents ; les morceaux
seront encore plus violents ou traités avec encore plus de douceur. Le style
d'Otis et celui du groupe de la maison Stax ont atteint la maturité.
Phil Walden nous fournit un regard personnel : "Je crois qu'il était plus
sophistiqué et conscient de qui il était. Il avait du succès et il aimait
cette vie, être une star et que les gens vous aiment. Il s'habituait à
être Otis Redding et je pense que ça se voit dans sa musique. Enfin il était
une vraie star, pas quelque chose qu'on essaye de fabriquer. Il
suffisait de se fier aux ventes d'album qui étaient assez uniques pour les
artistes noirs à cette époque là." (Otis vendait entre 250 et 350 mille albums
à chaque parution. Mais plus important, ses albums restaient toujours de bons
produits sur le catalogue, se vendant régulièrement pendant de longues
périodes de temps).
Wayne Jackson est d'accord avec Walden : "Plus il gagnait en stature en tant
qu'artiste à la renommée internationale, plus sa confiance montait. Il ne
changeait pas sa façon de jouer, je crois qu'il devenait juste meilleur."