OLYMPIA 1966

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 ROCK & FOLK N° 1 NOVEMBRE 1966 

 

 article Kurt Mohr

 


 


 

 

 - Otis, quelle a été la plus grande joie de votre vie?

   Pouvoir me produire ici, à Paris.
 

  - Non, ce n'est pas ce que j'entends. Avez-vous eu, dans votre vie, une occasion particulièrement réjouissante?

  Là, Otis Redding se met à bafouiller, il cherche vainement.

   Vraiment, Paris, ça représente quelque chose pour moi. Et le public semble m'apprécier. 

C'est vraiment ma plus grande joie.

  - Bon, alors, passons à autre chose qu'est-ce qui, à votre avis vous a le plus lancé dans votre carrière ?

  Otis réfléchit. Puis il interroge l'interviewer du regard.

  Avoir pu conquérir le public parisien (il hésite ... ) ou bien mes premiers disques.

....

  Je suppose que cela ne devait pas encore être la réponse attendue. Je ne connais pas la suite de l'interview. Cela se passait dans la loge d'Otis Redding, à l'Olympia, quelques minutes avant son deuxième concert. L'interviewer était celui-là même qui, le lendemain, devait l'assommer dans les colonnes de «Combat». Oh, pas par méchanceté, simplement par méconnaissance des faits, mais tout de même...

 

© JL Rancurel

 

Quant à moi, j'avais encore des questions à poser, d'ordre discographique (Pour ceux qui ignoreraient mon dada), à Phil Walden, le manager d'Otis, Phil est un gars d'une trentaine d'années, svelte et énergique, qui semble avoir la main dans toutes les grosses affaires du MiddleWest. C'est lui qui dirige la marque de disques Jotis, lancée par Otis Redding, comprenant les artistes Billy Young, Arthur Conley et Loretta Williams. C'est lui aussi qui s'occupe de Percy Sledge, dont il a supervisé le premier enregistrement : «When a man loves a woman». Oui, je vous vois déjà venir : l'organiste s'appelait Spooner Oldham et le guitariste Marlin Greene ; mais, depuis juillet, le guitariste de Perçy est Jerry Weaver, anciennement avec les «Swan Silvertones»...

 

 

PAS LÀ POUR ÉCOUTER DU MOZART

 

Je revois encore Otis Redding, dans sa loge, sous les feux de l'interrogatoire. Je le revois aussi sur scène, sous les feux de la rampe, face au public. C'est toujours le même garçon : franc, direct, sans complication.

   

                                                                                                                        

Sur scène en action et en compagnie de Hubert d'Europe n°1  © Photothèque JL Rancurel

 

 

Combien de fois avais-je déjà entendu cette phrase, dans un français péniblement reconstitué ou, en désespoir de cause, en anglais : « Je suis heureux et touché de pouvoir chanter sur une scène à Paris ». Otis a attendu la fin du troisième morceau pour la dire. Il fêtait ce soir-là son vingt-cinquième anniversaire. Des amateurs en quête d'autographes étaient déjà venus le féliciter. La salle, dans sa grande majorité, se montra délirante. Après trois morceaux, Otis savait qu'il avait gagné, qu'il avait touché ce public qui ne parlait pas la même langue, ce pays dans lequel il mettait pour la première fois les pieds. Otis Redding, c'est l'image même de la bonne santé. Grand, musclé, il arpente la scène et «met le paquet» sans jamais donner cette impression de survoltage que provoquent parfois les artistes plus menus, Car, pour «mettre le paquet», Otis n'est pas avare d'énergie. C'est peut-être même là le seul reproche qu'on puisse lui faire : trop de fortissimo, trop de tempos tirant sur le rapide. Pour être sûr de n'endormir personne, il a préféré chauffer au maximum, du début à la fin. Or, devant ce public qu'il avait conquis en un tour de main, il aurait pu se permettre plus de nuances ; je pense même qu'il y aurait encore gagné. Ses disques commencent à se vendre sérieusement et il a une audience acquise d'avance, qui apprécie autant ses morceaux lents que les rapides. Mais ne cherchons pas la petite bête. Les deux récitals d'Otis ont été le choc, le délire... du moins pour tous ceux qui n'étaient pas venus là pour écouter du Mozart.

 

 

VOUS VERREZ QUI EST LE ROI

 

Le répertoire d'Otis Redding (que François Postif qualifie d' «inexistant ») est en fait trop vaste pour pouvoir être présenté au cours d'un seul concert. En effet, outre ses propres compositions telles que «These arms of mine» (1962), «Pain in my heart» (1963), «Mr. Pitiful» (1964), «Respect», «Ole man trouble»,  «I can't turn you loose», «I've been loving you too long» (1965), «My lover's prayer», «Don't mess with Cupid» (1966), Otis Redding a fait   «siens» les succès d'autres artistes, comme  «Satisfaction» (des Rolling Stones), «My girl» (des Miracles), «Shake» (de Sam Cooke). Ce répertoire, fantastique (tous ces titres évoquent immédiatement Otis Redding auprès d'un vaste public), ce répertoire n'est pas le seul fait des thèmes proprement dits. Qui connaît les disques d'Otis sait bien qu'on ne saurait dissocier les thèmes de leurs arrangements (aussi originaux que percutants) et de la façon très personnelle de chanter d'Otis Redding.

 

Au début de sa carrière, Otis était nettement sous l'influence de Little Richard: ils sont tous deux originaires de la même ville : Mâcon. Georgia. Mais par la suite, il a vite trouvé un style personnel, qui se situerait plutôt entre Ben E. King et Wilson Pickett, le chanteur très viril, puissant mais sans nervosité. C'est, en tout cas, l'antithèse même d'un James Brown avec lequel il ne partage qu'une chose : le swing. Ce contraste entre les deux chanteurs m'incite d'ailleurs à pousser plus loin le parallèle. 

James Brown est petit, futé, d'une arrogance à peine dissimulée. Il a un talent fou, il en est pleinement conscient. Vis-à-vis du monde il a une double revendication : celle du Noir et celle du petit (il n'est même pas mignon !) Son message, c'est: j'ai beau n'avoir l'air de rien du tout, attendez que je sois sur scène et vous verrez qui est le Roi! Sur ses musiciens, Brown semble exercer une sorte de terreur magique, ils en parlent en l'appelant Monsieur Brown et s'adressent à lui en disant «patron». Je ne sais s'il est vraiment aussi terrible qu'il en a l'air, mais le souriant personnage que j'avais rencontré dans les coulisses de l'Olympia m'avait d'emblée fait penser au héros d'un film de gangsters.  

 

          © JP Martin                             

 

Toute autre est l'atmosphère qui règne autour d'Otis Redding, Ses musiciens ne jurent que par lui. Là aussi, des réminiscences ; les Ikettes, au début de l'année, m'avaient déjà prévenu : Otis Redding est un gars très sympathique, nullement gâté par le succès, qui se donne et se renouvelle à chaque représentation. Le temps limité (surtout celui d'Otis) ne me permettant pas une longue prise de contact, c'est surtout par ses musiciens que j'ai appris beaucoup à son sujet. Qu'on me permette d'abord une rapide présentation de son orchestre. Il s'agit là d'une formation récente et aucun des disques d'Otis Redding publiés en France n'a été fait avec les musiciens qui sont venus à Paris. Ceux-ci sont Leroy Monroe, trompette, de St. Petersburg en Floride. Ambrose Jackson, trompette, 26 ans, de Washington, D.C. Clarence «Jay» Johnson, trombone, 33 ans, de Washington, D.C. Il joue de la contrebasse dans le fameux « Stagger Lee» de Lloyd Price (1958), du trombone chez James Brown et Yvonne Fair (1962) dans «Choo Choo» et «It hurts to be in love». 

 

de gauche à droite :

  Lee "Royal" Hadley (g)  G.Alfred Cook (b) Elbert "Woody" Woodson (drums) Bob Holloway (t.s.) Lee Roy Flemming (b.s.) Charles Fairley (t.s.)  Lee Roy Monroe & Ambrose Jackson (t.p.) Clarence "Jay" Johnson (tb)    

  OLYMPIA 10 sept.1966  -   photo JP Martin  

 

Bob Holloway, 32 ans, de Roxborough, Caroline du Nord, saxo ténor et directeur. Il a joué et enregistré avec Major Lance, Hank Ballard, AI Brisco Clark et James Brown. Charles Fairley, saxo ténor, 35 ans, de Mosspoint, Mississippi, a joué dans les orchestres de Joe Turner et de Guitar Slim. Leroy Flemming, saxo baryton, 23 ans, de St. Petersburg en Floride. Il joue chez James Brown de août 1963 à juin 1964 (disques) puis fait deux ans dans l'Armée, où il est stationné en Allemagne. Il venait donc à peine de quitter l'Europe quand il nous est revenu avec Otis Redding.

Lee Royal Hadley, guitare, 24 ans, de Raceland, Louisiane. Il a enregistré avec Willie West, puis avec les Scotchtones pour la marque Rust (1959) avant d'organiser, en 1963, l'orchestre de Joe Tex. On peut l'entendre abondamment dans les disques de ce dernier (en France : Atlantic 212.091) ainsi que dans «Crying in the chapel» de Carol Fran (Port 3000) et «Hello happiness» de Bobby Marchan (Dial 4007). Il est entré chez Redding au mois de juin, en même temps que Jay Alfred Cook, basse-fender, 25 ans, de Thibadeaux, Louisiane. Tous deux se sont connus chez Joe Tex, où Jay Alfred fonctionnait en tant que trompettiste et arrangeur depuis 1963. Ce n'est que deux ans plus tard qu'il se mit à la contrebasse ; on l'entend dans les mêmes disques de Carol Fran et Bobby Marchan. Elbert «Woody» Woodson, batteur, 31 ans, de Washington, D.C. A enregistré avec Gene Chandler ( «Man's temptation» ) et avec Marvin Gaye («How sweet it is») avant d'entrer chez Otis Redding en novembre 1965.  

 

    

                                                                                                                                                                                                                 

Tous ces musiciens forment une équipe très sympathique et ils s'entendent très bien entre eux  ce qui est loin d'être le cas dans tous les orchestres. Nous avons longtemps bavardé ensemble et je ne crois trahir personne en disant que tous préféreraient voir Otis faire un spectacle plus nuancé. C'est d'ailleurs le refrain inévitable que l'on entend de la part de tous les musiciens dans un «show» rock ou R & B, Ils voudraient avoir plus de latitude pour se produire en solistes, pour montrer qu'ils savent faire également autre chose que chauffer. Je leur ai dit que peu de musiciens étaient assez doués pour pouvoir fasciner le public avec de longs solos, et qu'Otis Redding risquait de compromettre son succès s'il donnait trop de place à son orchestre. Ils n'ont que faiblement protesté...

 

Un point restait à éclaircir : quel était l'auteur des magnifiques et très originaux arrangements des disques et du programme d'Otis ? Tous ses musiciens m'ont affirmé que c'était Otis lui-même. Bien qu'il ne soit pas un musicien cultivé, c'est lui qui dicte et chantonne les arrangements à Steve Cropper, le fameux guitariste de Memphis. Celui-ci écrit alors les partitions et, à deux ils font répéter et mettent au point l'orchestre jusqu'à ce qu'Otis soit satisfait. lis m'ont d'ailleurs affirmé qu'Otis y était également pour beaucoup dans les arrangements de Wilson Pickett, notamment «In the midnight hour».

 

Otis joue, paraît-il très bien de la guitare. Il faut lui accorder l'instrument de façon spéciale et il interprète alors le vrai blues de derrière les fagots, m'a affirmé Bob Holloway. Otis m'a dit qu'il jouait de la guitare dans «Mary's little lamb» et du piano dans «Same thing all over» (de Billy Young) ; ce sont les seuls disques dans lesquels on l'entende sur un instrument. Souhaitons à Otis Redding de revenir très bientôt avec son orchestre. Le public est prêt.

 

KURT MOHR

 

"Le samedi 10 septembre 1966 (en matinée) et le dimanche 11 septembre (en deuxième matinée, à 17h30), première visite olympiesque du grand Otis Redding. La vedette incontestable de la firme Stax sème les petites graines que l'ensemble des musiciens soul récolteront l'année suivante: une prodigieuse année rhythm'n blues. En première partie, Vigon et les Lemons. Vigon est un jeune Marocain qui concentre entre ses mains l'héritage de Little Richard et celui de James Brown. Encore un show qui titre 100 degrés !

© texte extrait du magnifique livre "OLYMPIA" par JM Boris, JF Brieu, Eric Didi - Editions Hors Collection - 2003

 

 

   


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