JET magazine des 4
janvier et 18
juillet 1968
traduction de l'américain par
Frédéric ADRIAN
JET du 4 janvier 1968
Otis Redding laisse un testament pour sa famille ;
son père est l’administrateur
par Chester Higgins
Le « chanteur soul » millionnaire Otis
Redding Jr était en fait au fond de lui un plouc de Géorgie lorsqu’il est
mort si tragiquement à 26 ans après que son avion bimoteur Beechcraft
s’était abîmé dans le lac Monona à Madison, Wisconsin. Mais JET a appris
que le « Roi du Son de Memphis » faisait preuve du talent d’un banquier de
Wall street prudent et déterminé lorsqu’il s’agissait de s’occuper de sa
femme, Zelma, et de leurs trois enfants. Non seulement il pourvoyait à
leurs besoins très généreusement de son vivant, mais il tenait compte de
leurs intérêts au delà de la mort en faisant un testament désignant sa
famille somme seuls héritiers et son père, le révérend Otis Redding
senior, comme administrateur légal de ses nombreuses et diverses
propriétés. Cela répond à des questions que se posaient des milliers de
ses fans et des observateurs : « est-ce qu’il est mort fauché ? ». Ou
« est-ce que les procès et les actes d’homologation du testament vont
consommer le reste de ses biens ? ». La réponse à ces deux questions est
un « non » clair et net. D’après la chanteuse de
rhythm and blues Mable John,
une amie proche de Redding et une collègue de la société de management
Phil Walden associates et de la maison de disque Stax/Volt, « Voilà un
jeune homme noir qui pouvait se permettre (financièrement) de mourir ».
Walden a dit à JET « la famille d’Otis n’aura jamais à se soucier de quoi
que ce soit financièrement.
Sanglotant
« je dois faire quelque chose pour Otis »,
sa veuve est accompagnée par le frère d’Otis, Roger,
en permission de l’Armée depuis l’Allemagne.
Les enfants de
Redding : Otis III, 3 ans, Dexter, 7 ans, Karla, 5 ans,
sont accompagnés par une infirmière et une parente ; les parents,
le révérend Otis Redding Sr. et madame, quitte le service à l’auditorium.
le
porteur de cercueil honoraire James Brown (flèche) regarde tristement
alors que les porteurs Joe Tex, Joe
Simon, Sylvester Huckadee, Johnnie Taylor,
Arthur Conley, Solomon Burke, Eart Simms, Clark Waldon sortent le corps de l’auditorium.
Pendant ce temps, plus de 25000 personnes
ont vu le cercueil contenant l’idole « soul » décédée à la veillée funèbre
et au grand enterrement public qui s’est tenu dans le grand (4500 sièges)
auditorium municipal de Macon, Géorgie. Plus de 6500 personnes ont
encombré le bâtiment, collées aux murs, beaucoup d’entre elles tapant du
pied, sifflant et applaudissant à l’entrée de chaque personne considérée
comme une « célébrité ». Pour un observateur dégoûté, « ils se
comportaient comme s’ils étaient à un concert rock’n’roll ». Quand la
grande foule a aperçu le chanteur James (Mr Dynamite) Brown à l’extérieur,
ils l’ont encerclé, ont déchiré son manteau, et la police a dû plonger
dans la foule avec des matraques pour sauver l’artiste. Le chanteur Joe
Tex a dû littéralement courir pour sauver sa vie et trouve refuge dans la
voiture de Lee Ivory, un journaliste spécialisé dans le spectacle de
Chicago. Parmi les nombreux artistes présents, il y avait Sam and Dave,
Wilson Pickett, mademoiselle John (elle est la sœur du chanteur star de rhythm and blues Little Willie John) ; Solomon Burke, Percy Sledge, Johnnie
Taylor, Arthur Conley, le protégé de Redding, Carla Thomas qui est arrivé
tard d’Atlanta avec Booker T and the MGs. La reine du rhythm and blues
Aretha Franklin était absente, mais très attendue. Beaucoup pensait que
mademoiselle Franklin ferait une apparition pour exprimer son respect
puisque c’était la chanson de Redding, Respect, qui lui avait
permis d’atteindre sa récente célébrité. Marjorie Hendricks, une ancienne
Raylette, était également présente.
Les chanteurs Joe Simon et
Johnnie Taylor, en plus d’avoir porté le cercueil, ont chanté pendant
l’office.
Simon a
chanté
Jesus keep me near the cross,
Taylor a
chanté
I’ll be
standing by.
Redding a été enterré dans le jardin, à une centaine de yards de sa grande
maison moderne sur une ferme de 300 acres près de Macon. Beaucoup
d’observateurs, constatant l’air perdu de madame Redding, ont dit que le
défunt aurait dû être enterré ailleurs. Bien que des amis et des visiteurs
aient essayé de la faire rester à la maison, elle s’est fréquemment
éclipsée pour visiter sa tombe. « Elle va se tuer de chagrin avec sa tombe
si proche », a remarqué un ami. Le sénateur de l’état de Georgie s’est
adressé brièvement au public, ainsi que le maire de Macon Ronnie Thompson,
qui avait auparavant fait publier un décret officiel exprimant la
tristesse de la ville.
Pendant ce temps, l’inspecteur de la police
de Madison (Wisconsin) John Harrington a dit à JET que les deux corps
restant de l’organiste des Bar-Kays Ronnie Caldwell, 19ans, et du
saxophoniste ténor Phalon Jones, également 19 ans, avaient été récupérés à
environ 50 pieds sous l’eau du lac Monona.
Otis Redding, qui avait quitté l’école tôt,
encourageait les autres à ne pas suivre son exemple.
Le défunt Otis Redding était très inquiet
de la situation des jeunes défavorisés. Ayant quitté l’école au dixième
niveau, il avait l’intention de créer un camp d’été sur son grand ranch de
300 acres près de Macon, Georgie, juste avant sa mort. Suite au travail du
vice-président Hubert Humphrey avec la jeunesse défavorisée de la nation,
il avait écrit la musique (paroles par Deanie Parker de Memphis) pour
l’album Stay in School :
Si tu n’es pas retourné à l’école cette
année / Tu n’es vraiment pas dans le vent :
Peut-être que tu penses que l’école c’est nul. / Ca ne te touche vraiment
pas / Mais as-tu imaginé combien tu auras l’air bête / En train de faire
la queue pour du boulot / Parce que l’école ne t’intéresse pas ? / Tu
devrais vraiment penser à ça. / Sans éducation tu ne peux être qu’un
clochard/ Vieilles chaussures, pas de coupe de cheveux, juste un plouc. /
T’inquiètes pas si les types du coin de la rue te traitent
de naïf/ Parce que tu améliores ta future situation / Tu devrais vraiment
y penser / Et en plus dis le qu’Otis Redding dit / que tu es malin parce
que tu seras au top quand / Ils parviendront ici, s’ils y arrivent, s’ils
y parviennent.
JET du 18 juillet 1968
Ce que sa veuve fait de l’argent laissé par Otis Redding
Riche, elle affronte un futur solitaire
Par Chester HIGGINS
En dessous d'une peinture frappante de son défunt mari, réalisé
par un fan étranger enthousiaste,
madame Redding considère le futur.
Le
mausolée en marbre gris clair à double caveau est situé à l’entrée même
de la chaussée circulaire qui mène à l’entrée de la
belle maison de
style ranch, pleine de recoins sur trois niveaux, du millionnaire décédé
Otis Redding.
La
crypte porte déjà le nom du chanteur décédé, sa date de naissance (le 9
septembre 1941), et celle de sa mort (le 10 décembre 1967). Elle porte
aussi l’inscription audacieuse mais mélancolique « En mémoire d’Otis
Redding Jr » et le nom de sa veuve, la petite (5 pieds, 10 livres) et
intense madame Zelma Redding. Sa date de naissance, le 7 octobre 1942,
est inscrite, avec la date de son décès laissée vacante, comme l’est le
caveau à côté du Premier Chanteur du Monde qui reste vide, et dans
l’attente.
« Nous avons été seuls », a raconté la veuve à JET durant une interview
dans sa spacieuse ferme de 280 acres, assise près de la piscine en forme
de O, tout en chassant un insecte. « Nous avons été seuls depuis qu’Otis
est parti. Nous avons tout ce qu’il nous faut ici, mais nous sommes
seuls sans Otis ».
« Nous » concerne ses trois enfants - Dexter, 7 ans, parti aux cours
d’été à Macon, distant de 24 miles, Karla (« attention à bien l’écrire
avec un K »), avec ses couettes, 6 ans, et l’énergique Otis III, 4 ans.
L’utilisation par madame Redding de l’expression « depuis qu’il est
parti » indique son refus d’accepter la mort de Redding. Mais les
mots suivants tendent à effacer cette impression. « Beaucoup de
personnes demandent », dit-elle, « « Pourquoi est-ce que vous l’avez mis
là (à l’entrée principale de son grand domaine) ? ». Et je dis « Parce
que c’est là qu’il voulait être - et que c’est là
que je voulais qu’il soit ». On peut voir le mausolée de n’importe
laquelle des fenêtres de la façade de la maison. Je sais qu’il voudrait
être là et je me sens mieux de l’avoir là. Les enfants -
je ne sais pas ce que j’aurais fait
sans eux - ont accepté le fait qu’il est parti. Nous en parlons comme si
il était juste parti travailler quelque part comme il le faisait. Mais
dans nos cœurs, nous savons que ça n’est pas le cas ».
Le mausolée
est « là où il voulait être »
Il
y a quelque chose de presque sinistre dans sa dévotion à la mémoire de
son mari séduisant sans raffinement et talentueux, qui, avec cinq jeunes
membres du groupe instrumental des Bar-Kays et le pilote, a été tué dans
un tragique accident aérien de l’avion privé de Redding à Madison dans
le Wisconsin.
Le
ranch de 12 pièces sur trois niveaux, partiellement fait de séquoia, est
un pèlerinage virtuel à sa mémoire. Ses plaques, trophées, citations,
deux disques d’or (At the Dock of the Bay, publié de façon
posthume ; et Sweet Soul Music, un morceau qu’il a écrit avec son
protégé Arthur Conley), photos, lettres, la copie gravée en plastique
d’un chèque pour un montant élevé dominent une salle de musique décorée
en noir. Chaque pièce dans la grande maison reflète la forte
personnalité du chanteur décédé.
Otis III et Karla s'amusent sur le
plongeoir de la piscine en forme de O pendant que,
à
Macon, Dexter discute avec sa grand-mère, madame Essie Atwood.
Ayant pris le bureau de son défunt mari, madame Redding passe un
appel professionnel,
puis plaisante avec sa secrétaire, mademoiselle Carolyn Spikes, 23 ans.
En partant de la moderne société Redwal
Publishing, madame Redding fait une pose à la porte.
Redding à construit la société avec des chansons à succès comme
RESPECT.
La maison reflète la forte personnalité du
chanteur
Pour la veuve et les enfants, financièrement parlant, le futur est
positif. Depuis la mort de son beau-père, le révérend Otis Redding
senior, 55 ans, il y a quelques semaines, madame Redding s’est occupé de
la gestion du riche patrimoine du chanteur décédé, intégralement légué à
elle et aux enfants. Otis Redding avait laissé un testament choisissant
son père comme administrateur. Le jeune chanteur avait également pris
une assurance estimée à 1 million de dollars sur son avion à 8 places.
L’assurance s’est occupée des demandes des familles des personnes mortes
dans l’accident, dit madame Redding.
Redding, considéré comme millionnaire au moment de sa mort, avait amassé
un patrimoine considérable pendant les quelques courtes années pendant
lesquelles il avait été au sommet du lot dans le show-biz (le magazine
anglais Melody Maker avant choisi Redding comme « chanteur de l’année »
en 1967, à la place de leur choix habituel, Elvis Presley).
Reconnaissant qu’elle n’avait aucune expérience dans la gestion de ses
propres affaires, (« Otis a toujours tout fait pour moi »), madame
Redding a dit à JET : « J’ai l’aide de la banque Citizens and Southern
à Macon pour les impôts ». Elle a aussi l’aide de la firme juridique
blanche de Macon Anderson, Walker et Rickett, et du comptable certifié
blanc J. Edward Flournoy, également de Macon, ces deux derniers sans
doute recommandés par le partenaire en affaire blanc et ami de son mari,
le manager Phil Walden.
Les biens physiques du patrimoine de Redding sont immédiatement
apparents et tendent à consolider le qualificatif de « millionnaire » :
la maison de 12 pièces (ils avaient ajouté 4 pièces à la structure de 8
pièces achetée en 1965 pour 65000 dollars) ; les 280 acres de terre
agricole riche et onduleuse, avec son nouvel équipement fermier
-
tracteur, planteur, moissonneuse-batteuse - ; un pick-up Ford neuf ;
cinquante têtes de bétail black Angus ; trois chevaux dont un fier
hongre Palomino, le cheval de selle préféré d’Otis, et une mule (les
Redding avaient 7 chevaux et en ont vendu quatre) ; un lac privé riche
en poisson, deux paons aux plumes brillantes. Ensemble, ils valent
facilement 250000 dollars.
Il
y a 3 automobiles de 1967 - une Cadillac Eldorado ; une Lincoln
Continental et une Mercury Cougar qu’elle utilise comme véhicule
habituel. Une Lincoln Mark III commandée par Otis et arrivée après sa
mort a été « renvoyée », d’après madame Redding. Elle dit aussi qu’elle
va se débarrasser de la Lincoln maintenant pour garder les deux autres
voitures.
En
tant que directeur de la société interraciale en pleine expansion Redwal (Redding-Walden-
NDLR) Music Publishing, logée dans un immeuble moderne avec air conditionné
qui est un oasis sur la quelque peu miteuse Cotton Avenue, madame
Redding refuse de révéler le montant laissé par l’assurance de son mari,
déclarant seulement que « c’était une somme d’une belle taille ». Un
observateur bien informé et ami de la famille a dit à JET « c’était dans
les environs de 100000 dollars ». Mais son salaire en tant que directeur
de la société Redwal Music et même le capital payé par l’assurance
qu’elle va recevoir risque de n’être que des broutilles par rapport aux
chèques de royalties qu’elle va recevoir. Depuis la mort de son mari en
décembre, madame Redding a reçu trois chèques de royalties, et tous
étaient, elle l’admet, « étaient de bonne taille ». Traduit par une
autre source bien informée, cela signifie qu’elle recevra bien au dessus
de 100000 dollars en royalties cette année seulement. Et comme les
ventes de disques de son défunt mari se sont développées depuis sa mort,
même cette estimation est peut-être beaucoup trop basse. En tant
qu’artiste, auteur, et éditeur de ses chansons et de celles de plusieurs
autres artistes, les royalties de Redding sont en effet considérables.
Après une baignade avec Otis III et Karla dans la piscine,
madame Redding
prépare le repas dans une cuisine moderne et bien équipée.
La société de Redding est un « oasis »
sur
la miteuse Cotton Avenue
Redding avait d’importants biens immobiliers essentiellement à Macon et
dans le Comté de Jones en Géorgie. Il avait un portefeuille substantiel
d’actions, d’obligations et d’autres investissements qui assurent une
vie très confortable à sa veuve et à ses enfants. Personne n’a voulu
tenter d’estimer quel revenu madame Redding recevait de cela.
Qu’est-ce qui s’annonce pour cette jeune veuve ?
« Je vais passer le reste de ma vie ici. Voilà mes plans à long
terme. », dit-elle. « Nous avons le caveau (mausolée). Je ne veux pas
établir quelque chose comme ça pour les enfants, parce qu’il n’y a pas
moyen de savoir ce qu’ils voudront faire, ou où ils voudront aller en
grandissant ».
« Je n’ai pas de bonne - je ne veux pas de bonne, je ne veux pas de
cuisinière, pas de chauffeur, rien dans ce genre. J’aime cuisiner, faire
le ménage et conduire moi-même. J’ai quelqu’un qui s’occupe de la ferme.
Et nous produisons des légumes, notre propre viande, etc ».
A
25 ans, elle est décidée à ne pas se remarier. « De tout mon cœur et
âme. Je sais ce que je ferai. Je ne veux pas que les enfants d’Otis
aient un beau-père. Je ne pourrais pas faire habiter un homme ici »,
elle montre de la main la pièce, dominée, comme le sont la majorité, par
la présence du chanteur décédé.
Des citoyens importants de Macon, noirs et blancs, se regroupent pour
former une fondation à la mémoire d’Otis Redding. Leur premier projet
sera de construire un nouveau bâtiment pour le centre Booker T.
Washington. Il inclura une bibliothèque et un gymnase et sera baptisé en
l’honneur de l’habitant de la ville le plus célébré, Redding.
Pour madame Redding, faire face à la vie après la perte soudaine et
tragique de son mari a été une expérience traumatisante. Elle a à peine
été capable d’agir depuis. Elle reconnaît volontiers son impuissance.
« C’était différent pour l’épouse de Martin Luther King Jr. »,
dit-elle, « Elle savait comment se comporter avec les gens pour
commencer. Je ne savais pas et je ne sais pas. C’est ma première
interview. C’était si nouveau et si étrange d’être sans Otis. Il faisait
tout pour moi. Maintenant ça me paraît bizarre de faire les choses pour
moi ».
Elle regarda rêveusement par la grande fenêtre, à travers la grande
piscine en forme de donut aux reflets verts dans la cour, dans la
chaleur d’une fin d’après midi en Géorgie, et contempla les champs en
pente au delà. Puis elle soupira, et déclara à nouveau : « Il n’y a rien
à faire à Macon, mais je vais être ici. Je vais vivre ici jusqu’à ce que
je meure. Il faut toujours espérer et prier et c’est ce que je fais
depuis qu’Otis est parti. »
A
nouveau un soupir, un tic rapide et presque indiscernable donnant un
petit coup à sa joue, puis elle dit assez simplement : « Je ne mets pas
en doute Dieu. Je ne demande pas à Dieu pourquoi Otis est parti. Mais
parfois - je me demande… ».
Dans le patio, madame Redding avec les enfants Otis III et Karla, parle à JET de
ses plans pour le présent et pour le futur.
articles de
Chester Higgins
de gauche à droite, Al Bell, Chester Higgins
et Clarence Avant
Jet
magazine, published weekly by Johnson Publishing Co Inc,
1820 S.Michigan Avenue, Chicago, Illinois 60616
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