« Je
pense que Dieu était avec moi »,
dit le seul survivant de l’accident d’avion
par Chester Higgins
« Tout ce dont je me souviens, c’est que je me
suis réveillé et que je ne pouvais pas respirer. J’ai entendu Phalon (Jones)
dire « Oh non ! ». Il était assis de l’autre côté de l’allée. J’ai retenu mon
souffle, détaché ma ceinture de sécurité et je me suis emparé d’un coussin ».
Ben Cauley, 20 ans, trompettiste dans le
célèbre groupe instrumental de chez Stax/Volt Records, les Bar-Kays, est couché
dans son lit au New Methodist Hospital de Madison (Wisconsin) et il a raconté à
Jet, d’une voix parfois hésitante, parfois saccadée, marquée par la confusion
et la crainte, les terrifiantes dernières minutes (peut-être même secondes) du
vol maudit de l’avion bimoteur Beechcraft à 200 000 dollars du « chanteur soul »
millionnaire Otis Redding.
L’avion est tombé à pic dans la zone glacée
Squaw Bay du lac Monona, près de Madison, tuant Redding, quatre membres des
Bar-Kays, un assistant et le pilote, Richard Fraser, 28 ans. Cela constitue une
des pires tragédies aériennes de l’histoire du spectacle. Les morts sont :
Redding, 26 ans, chanteur vedette connu dans le monde entier, que le célèbre
magazine anglais Melody Maker a récemment nommé chanteur international de
l’année, détrônant à cette place Elvis Presley ; Fraser, qui est blanc, tous
deux de Macon, Géorgie, l’assistant des Bar-Kays, Matthew Kelly, 17 ans ; le
saxophoniste ténor Jones, 19 ans ; Ronnie Caldwell, 19 ans, qui est blanc et
l’organiste du groupe ; et le batteur Carl Cunningham, 18 ans, tous de Memphis.
La majorité de ces musiciens adolescents avaient été au lycée ensemble. Les
corps de Jones et Caldwell n’ont pas encore été retrouvés.
Redding était assis dans le siège du copilote,
raconte un survivant
Cauley, le seul survivant (ont aussi survécu
James Alexander, bassiste, et Earl Simms, chanteur, tous deux 17 ans, qui
n’avaient pas pris l’avion fatal faute de place) a conscience du caractère
exceptionnel de sa situation. Il est rare qu’une victime d’accident d’avion
s’en sorte et puisse en parler. Frottant ses mains ensemble, il a répété : « je
suppose que Dieu était avec moi. J’étais endormi. Et je me souviens m’être
réveillé parce que je ne pouvais plus respirer. Le moteur faisait beaucoup de
bruit et j’ai eu l’impression terrifiante de tomber dans le vide. J’ai pensé
que l’avion était dans un trou d’air. J'ai entendu Phalon grommeler « Oh non ».
Juste ça. « Oh non ». Et je me suis tourné pour lui dire quelque chose, mais je
n’ai pas pu parce que je ne pouvais pas respirer. Je me suis penché et j’ai
détaché ma ceinture de sécurité. Je ne sais pas pourquoi, je me suis juste
penché et je l’ai détachée. Ca m’a peut-être sauvé la vie. Je ne sais pas. Dieu
devait être avec moi », a répété le très croyant Cauley. « Otis (Redding) était
assis juste devant moi dans le siège du copilote. Je ne l’ai rien entendu dire.
Rien vu faire. La dernière chose dont je me souviens, c’est d’avoir émergé de
l’eau accroché à ce coussin. (L’impact a arraché une aile et ouvert le
fuselage comme une boîte de tomates, permettant à Cauley de s’échapper).
« L’eau était froide. L’eau était froide.
Froide. Vraiment froide », a-t-il continué à répéter, presque absent. « Je n’ai
jamais eu aussi froid de ma vie. J’ai entendu crier « au secours » et j’ai vu
que c’était Ronnie. Il était à environ 5 pieds… non, environ 25 pieds. J’ai
essayé de nager vers lui, mais, avant que j’y arrive, il a coulé. Puis j’ai
entendu Carl (Cunningham) hurler, mais il était encore plus loin. Et il a coulé
en quelques secondes. J’ai senti que je coulais aussi et je me suis accroché
encore plus fort au coussin. Tout ce dont je me souviens ensuite, c’est de la
police me hissant sur le bateau ».
Cauley, qui est depuis sorti de l’hôpital et
rentré chez lui à Memphis, marchait nerveusement entre les lits, dans la
chambre à quatre lits. Il marchait dans le couloir de l’hôpital, remuant une
jambe musclée et poilue et frottant vigoureusement les mains. « Mes jambes et
mes mains ne sentent plus rien », dit-il en tordant ses doigts. « Rien n’est
cassé. Mais je suppose que l’impact du choc de l’eau les a endormies. »
Redding (gauche) est accompagné par Cauley, Jones et Ronnie Caldwell à l’orgue
pendant qu’il interprète son fameux morceau Shake.
Accompagné par les musiciens des Bar-Kays Cauley et Caldwell,
Redding chante
les paroles pleines de soul de sa composition Mr. Pitiful
La cause de l’accident n’a pas été précisée par
les autorités
Il n’a souffert que de légères blessures à la tête, ainsi que du choc et
du séjour dans une eau à 30-40 degrés (fahrenheit). A Memphis, sa mère,
Madame Georgia Cauley a dit ceci à Jet : « Son dos et ses doigts lui font
encore mal. Quand j’ai entendu que l’avion avait eu un accident, j’ai demandé à
Dieu de me donner de la force. Après que j’ai appris qu’il était vivant, j’ai
remercié Jésus ». Madame Cauley, son mari Ben senior, 45 ans, Ben junior, sa
femme et leur enfant de neuf mois font tous partie de la New Friendship Baptist
Church de Memphis. Madame Cauley dit qu’elle n’a jamais pris l’avion « et je ne
le ferai jamais ». Le jeune Cauley dit que le tragique accident d’avion ne
l’empêchera pas de voler à nouveau.
Cauley a raconté à Jet un incident intervenu à
Nashville. « Nous avions fini un concert à l’université Vanderbilt et étions
allés au hangar. Un des gars a dit qu’il faisait froid dans la cabine et a
demandé à un employé du hangar de mettre en marche le système électrique de
chauffage pour la réchauffer. Mais l’employé a dit non, la batterie est basse
et nous ferions mieux d’attendre que le pilote démarre l’avion. »
Les autorités ont dit que l’avion atterrissait
par instruments en raison du mauvais temps. La visibilité était de trois miles,
mais le plafond de seulement 100 pieds. Selon les autorités, une batterie
faible pourrait expliquer un système électrique défectueux, qui, à son tour,
aurait rendu difficile un atterrissage par instruments, puisque une telle
approche repose sur des signaux radio précis.
affiche
du concert du 10.12.1967
L’avion a plongé dans 40 pieds d’eau et enfoncé
profondément son nez dans le fond très vaseux du lac. Les autorités ont refusé
de préciser la cause de l’accident, mais elle ont exprimé leur incompréhension
vis-à-vis du fait que l’avion ait raté, par une telle marge (trois miles) la
piste d’atterrissage.
Cauley raconte que le groupe et Redding ont
donné un concert au Leo’s Casino à Cleveland, se sont reposés pour la nuit, et
sont partis pour Madison et un concert à la
Factory
dimanche soir. « On est
parti vers midi ce jour-là », dit Cauley. « Je me souviens que nous avions très
faim et que nous ne pouvions rien trouver à manger. Quand nous avons embarqué
dans l’avion, Otis a dit qu’il n’y avait rien à manger dans l’avion mais que
nous trouverions quelque chose dès qu’on atterrirait à Madison. »
On doit la vie du survivant à l’action rapide de la police
« Je me souviens m’être dit : « ça n’est pas une bonne journée ».
Puis
je suis monté dans l’avion et je me suis endormi.
Cauley ne serait pas vivant aujourd’hui sans le
travail rapide de la police de Madison. Après qu’un résident du Lac Monona ait
vu le crash, il a rapidement couru chez lui appeler la police. Le permanencier
a envoyé un bateau de la Patrouille du Lac sur les lieux. Il est arrivé en
vingt minutes pour tirer un Cauley choqué et blessé de l’étreinte glacée du
lac. Les plongeurs de la police ont dit qu’ils n’étaient pas capables de rester
dans l’eau à 30-40 degrés plus de 15 minutes au maximum. Au-delà, leurs dents
claquaient tellement qu’ils n’étaient pas en mesure de garder leurs appareils
respiratoires entre leurs dents.
L’inspecteur de la police de Madison John
Harrington considérait qu’une personne sans scaphandre « ne pourrait pas vivre
plus de 20 minutes environ » dans l’eau. Lorsque le corps de Redding a été tiré
hors de l’eau le lendemain, il était partiellement gelé.