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Remembering Otis Redding

 Mes souvenirs d'Otis Redding

par Alan Walden (1999)

 

 

Ce 10 décembre est le 32ème anniversaire de l'accident d'avion d'Otis Redding. Je me revois en 1960,  quand j'ai rencontré pour la première fois l'homme qui allait devenir le roi de la musique Soul. Otis était un jeune homme grand et mince, avec un immense sourire et une forte personnalité. C'était le chanteur du groupe Pat Tea Cake and the Mighty Panthers, avec Johnny Jenkins et un autre chanteur, Bill Jones, plus connu sous le nom de "Little Willie Jones". Mon frère Phil avait déjà ouvert une agence d'organisation de spectacles et s'occupait des fêtes de Collèges et Universités. Les Mighty Panthers étaient l'un des principaux orchestres managés par Phil Walden Artists and Promotions. Je fus chargé d'organiser les festivités des Lycées des environs.

 

 

Otis et l'orchestre jouaient dans la plupart des bals de Lycées et autres festivités locales. Leurs tarifs étaient modestes mais leur spectacle rencontrait toujours beaucoup de succès. A cette époque, le nom de l'orchestre fut changé en "Johnny Jenkins and The Pinetoppers, avec Otis Redding and the Shooters" (Mutt, Willie Jones, Sonny Cole). Johnny participa à une séance d'enregistrement et un 45 tours fut édité par Tifco Records. Pendant ce temps, Otis s'était aventuré vers l'Ouest et la Californie et avait enregistré "She's All Right". Aucun de ces titres ne devint un succès, mais "Love Twist" attira l'attention d'un représentant des disques Atlantic, Joe Galkin, qui acheta les droits de l'enregistrement et le fit publier sur leur label principal.

 

Pas encore un tube, mais suffisant remarquable pour qu'Atlantic demande à Johnny de faire une nouvelle session d'enregistrement chez Stax Records à Memphis, Tennessee, avec les incroyables Booker T. & The MG's et les Mar-Keys. Otis conduisit Johnny à Memphis pour enregistrer cette session, qui ne se passa pas aussi bien que prévu. Comme il restait un peu de temps, Otis demanda s'il pouvait enregistrer lui-même un titre. Après une grande discussion entre Joe Galkin et Jim Stewart, Joe persuada Jim de laisser Otis enregistrer deux chansons, "These Arms Of Mine" et "Hey, Hey Baby". Le deuxième titre ressemblait à un nouveau disque de Little Richard et comme Little Richard avait à ce moment  là abandonné le Rock And Roll, celui-ci fut choisi comme face A  du 45 tours (face "promo" pour les radios).

John Richbourg sur la station WLAC de Nashville

Les mois passèrent et le disque se vendait modérément à Macon et dans quelques villes proches. Au bout de neuf mois, Hamp Swain, plus connu sous les noms de "The King" ou "Deakon Swain", se mit à passer "These Arms Of Mine" en radio. Les ventes flambèrent localement,  puis le disque fut remarqué par la radio WLAC de Nashville, Tennessee. John Richbourg, plus connu sous le nom de John R. se mit lui aussi à passer le disque d'Otis  jusqu'à ce que les ventes s'amplifient nationalement et que les disquaires réclament d'urgence de nouveaux enregistrements. Tous les disques qu'Otis enregistra par la suite furent classés dans les hit parades des magazines Billboard, Cashbox et Record World. La carrière d'Otis était lancée et celle-ci commençait à rapporter beaucoup d'argent. Phil était diplômé  de la Mercer University et fut enrôlé dans l'armée comme sous-lieutenant. J'étais moi-même étudiant à la Mercer University quand Phil reçu son affectation. Il devait servir pendant deux ans en Allemagne et je fus désigné pour faire tourner la boutique pendant l'absence de Phil.

  Jimmy Hugues, Alan et Phil Walden, Otis, Johnnie Taylor

Ce travail à l'agence a été une très grande chance pour tous. Otis et moi avons commencé à nous connaître vraiment et à nous apprécier mutuellement. Nous venions de deux milieux différents. Notre but était de faire maintenir l'activité jusqu'au retour de Phil. Pendant ces deux années, Otis et moi sommes devenus des amis très proches. Nous avions brisé les barrières raciales et nous nous étions mis au travail. Nous faisions notre travail dans la joie ! C'était un tel défi pour un jeune blanc et un jeune noir de gérer en commun une activité dans cet environnement sudiste. Quelques sudistes ne comprenaient pas mais leur attitude avait plutôt pour effet de renforcer notre détermination à réussir. Les longues heures au bureau (nous vivions littéralement dans ce bureau du Robert E. Lee building), avec parfois quelques heures de sommeil sur les sofas, afin d'être là de bonne heure pour répondre au téléphone le lendemain matin. Les ventes continuaient à augmenter à chaque nouveau disque  et nous engrangions enfin des bénéfices.  

 

Otis ne jouait plus qu'une fois par an à Macon pour son spectacle local annuel. Cet événement devint si important que je dus enrôler mon père, C.B. Walden, ma mère, Carolyn Walden, mes deux cousins, Robert et Roy Walden, ainsi que mon frère et sa femme, Clark et Dolores Walden, pour aider au bon déroulement des spectacles. Otis avait lui aussi son équipe personnelle avec Rogers Redding, Carolyn Spikes, Earl Simms (Speedo) et Sylvester Huckabee(Huck).

 

Les choses allaient en progressant chaque année et avec la sortie des nouveaux disques. Joe Galkin était souvent avec nous ainsi qu'un membre Italien d'une agence de New York dénommé Frank Sands qui rejoignit notre petite croisade de Macon, Georgia. Johnny Jenkins n'aimait pas prendre l'avion et il se produisit une scission entre l'orchestre et Otis. A partir de ce moment, Otis voyagea seul, répétant  avec des orchestres locaux en début d'après-midi, dans chacune des villes ou il se produisait, mais il rêvait d'avoir son propre orchestre. Il trouva cet orchestre à Newport News, Virginia, avec sa super section de cuivres, une rythmique complète, un chanteur, Roy Haynes et une chanteuse nommée Gloria Stevenson. La Revue et le Show Otis Redding étaient nés. Leur première tournée se fit avec un autocar Flexie datant de 1949 qui n'était pas en très bon état… mais Otis le fit rouler tant bien que mal et le show s'aventura de plus en plus loin. Otis chantait 7 jours par semaine, se déplaçant d'une ville à une autre quasi quotidiennement.

  Otis et Phil Walden  - une association fructueuse.

Le succès change la plupart des chanteurs, mais pas Otis. Il était toujours prêt à tout faire et à aider tout le monde. Il avait déjà son fan club et répondait personnellement à la plupart des lettres, il rencontrait des disc-jockeys tous les jours et m'aidait même à rédiger les contrats. Au début, quand les fonds de l'agence étaient encore au plus bas, il proposa même de verser son propre cachet dans les caisses de l'agence pour nous permettre de continuer. Parfois, quand il était en période de tournée et que j'arrivais à 6 heures du matin pour ouvrir le bureau, j'y trouvais Otis et Speedo en train de vérifier les recettes et les reçus de la soirée précédente. Il était prêt à faire 300 ou 400 kilomètres supplémentaires, simplement pour venir travailler au bureau avant de repartir pour le concert suivant.

 

Otis et moi n'avons eu que quelques désaccords pendant toute la période ou nous avons travaillé ensemble. J'avais la sensation que nous formions une équipe idéale. Ce n'était pas la gloire tous les jours. Quand on voyage beaucoup, on finit toujours par rencontrer des gens qui essaient d'abuser de vous et nous avons eu notre part de bagarres, coups durs et autres problèmes, passer par des portes dérobées, fréquenter des hôtels  sordides ou sans aucun confort. Pourtant, je ne craignais personne, car Otis savait se défendre et avec Huck comme garde du corps, ils pouvaient faire face à toutes les situations. Les affaires continuaient à prospérer et tout naturellement, j'avais embauché mon père comme road manager d'Otis. Les Cadillac et des autocars récents, de meilleures conditions de vie et une gestion financière saine. Nous voulions tous qu'Otis gagne le plus d'argent possible et vive comme une vedette.

 OTIS BLUE / OTIS REDDING SINGS SOUL

Otis et moi souhaitions que le retour de Phil à la maison soit le plus agréable possible et nous avons mis sur pied la session d'enregistrement de l'album "Otis Blue". Otis et moi avions déjà fait grimper "I've Been Loving You Too Long" dans les premières places du Billboard et Respect était déjà en boîte. Nos revenus étaient  satisfaisants et Otis et moi n'étions pas mécontents de notre travail. "Otis Blue" devait être le meilleur album d'Otis et ce fut notre cadeau à Phil pour son retour. Otis était capable de prendre n'importe quelle chanson et la réarranger de telle façon qu'elle ressemble à une de ses propres chansons, en y ajoutant son style inimitable.

 

Une fois Phil de retour, nous nous lançâmes immédiatement à la conquête de nouveaux territoires. Sam and Dave, Arthur Conley, Percy Sledge, Clarence Carter, Johnnie Taylor, Eddie Floyd, Rufus et Carla Thomas, Joe Tex, Booker T. and The MG’s. Albert King, l'orchestre de Willie Mitchell, Joe Simon, The Fiestas, Bobby Marchan, Hank Ballard and The Midnighters, James and Bobby Purify, Oscar Toney, Eddie Kirk, Wilbur Harrison, The Ovations, James Carr, Dave Baby Cortez, Alvin Cash and The Crawlers, The Van Dykes, Albert Collins, Clarence “Gatemouth” Brown, Ty Hunter, Otis Clay, The Precisions, The Kelly Brothers, Lee Dorsey, The Meters, Ruby Andrews, Maurice Williams and The Zodiacs, Kris Kenner, Ernie K. Doe, Roscoe Shelton, Big John Hamilton, Lattimore Brown, The Wallace Brothers, Bobby Womack, Al Green, Tyrone Davis, Etta James, Mabel John, Jimmy Hughes, Z.Z. Hill, Arthur Alexander, O.V. Wright, et Candi Staton signèrent bientôt avec notre agence. Nous avons représenté jusqu'à 45 artistes simultanément.

 

Nous nous sommes lancés dans l'édition musicale sous le nom de Redwal Music. Nous étions la plus grande agence au monde après Motown. Les seize premiers disques d'or arrivèrent rapidement puis passèrent à cinquante. Nous avions conquis le marché musical noir et Otis avait été élu "Chanteur Soul n° 1" par Cashbox et Record World. Nous étions n° 2 au Billboard, juste après le "parrain de la Soul", James Brown. A ce moment là, nous avons commencé à tourner nos regards vers le marché de la pop music blanche. Les tournées en Europe et les Festivals Pop de Monterey et du Fillmore Auditorium attirèrent sur nous l'attention souhaitée. Les disques d'Otis étaient maintenant à la fois sur les antennes et dans les hit parades Pop et R&B. Otis marchait aussi pas mal à la télévision. Tout ceci se passait dans les années 60, avant la loi sur les droits civiques. Otis et moi faisions des balades à cheval dans la campagne, pêchions, chassions, et faisions tout ce que nous avions envie de faire, sans que tout le monde se retourne sur ce blanc et ce noir, riant et prenant du bon temps ensemble.

 

Nous aimions Round Oak et projetâmes d'en faire le plus grand ranch et la plus grande ferme de Géorgie. Nous avons cultivé des légumes, planté des haies et élevé des vaches et des porcs. Nous consommions même les œufs frais de nos poules et, occasionnellement un verre du lait de notre chèvre. Un lac de plus d'un hectare fut aménagé au Big O Ranch, avec ses poissons, ainsi que la plus grande piscine privée de l'Etat, en forme de "O". Les plans d'un terrain d'atterrissage étaient déjà faits et les travaux programmés, pour permettre à Otis d'atterrir directement dans le ranch avec son Beechcraft bimoteur. Tout allait au mieux. Le succès avait  amené le confort financier pour nous trois, un avion privé, des voitures : El Dorado, Continental, Thunderbird, des belles maisons et nous nous croyions réellement arrivés au sommet.

 

Les affaires continuaient à progresser. Chaque nouveau disque d'Otis se vendait encore mieux que les précédents. Les revues nationales lui reconnaissaient enfin le succès qu'il méritait. D'autres artistes, tels que les Beatles, les Rolling Stones, Tom Jones, et Bob Dylan avaient déclaré qu'Otis était leur chanteur préféré. Otis faisait des apparitions à la télévision dans le Ed Sullivan Show, l'American Bandstand, avec Johnny Carson, Joey Bishop, ou dans Where The Action Is. Deux scénarios de films avaient été proposés à Otis, en tant qu'acteur, pas en tant que chanteur. Otis n'était pas seulement un chanteur mais aussi un musicien, un compositeur, un arrangeur, un producteur de disques, un homme de spectacle, un homme d'affaire, éditant et gérant des nouveaux talents, intervenant dans toutes les branches de l'industrie musicale. 

 

Parmi ses œuvres principales, on peut citer :

 

1. un disque d'or pour “The Dock of the Bay”

2. un album d'or pour le “Monterey Pop Festival”

3. un coffret d'or pour  “The Best of Otis Redding"

4. deux Grammy Awards pour “The Dock of the Bay"

5. De nombreuses citations au BMI pour les chansons écrites ou enregistrées par lui-même ou qui ont été interprétées par Aretha Franklin, les Chambers Brothers, Michael Bolton, les Black Crows, Micky Murray, Arthur Conley, O.C. Smith, Tom Jones, les Rolling Stones, et même Frank Sinatra, pour n'en nommer que quelques uns.

6. Il a été intronisé au National Music Hall Of Fame à Cleveland, Ohio, au Georgia Music Hall Of Fame et au Memphis Hall Of Fame.

7. Il a créé une fondation scolaire pour aider les jeunes étudiants à poursuivre leurs études.

8. un disque d'or, “Sweet Soul Music” enregistré par Arthur Conley, produit par Otis.

9. Des résolutions ont été votées à l'unanimité par le Sénat et la Chambre des Députés pour saluer son œuvre.

10. Différents scénarii sur l'histoire de sa vie.

11. Sa chanson “The Dock of the Bay” classée 17ème dans l'histoire musicale de tous les temps.

12. En Europe, il a détrôné Elvis Presley, chanteur n°1 pendant de nombreuses années, au classement du Melody Maker.

13. Il a étroitement collaboré avec le Vice Président Hubert Humphrey et le Sénateur du Tennessee Howard Baker pour le projet "Stay In School".

14. L'un des principaux ponts traversant la rivière Ocmulgee à Macon a été baptisé "Otis Redding Memorial Bridge".

15. Un Grammy Award en 1999 pour l'œuvre d'une vie.

NDLR: Alan Walden précise par Email le 19 mars 2002:

" You need to add the statue is happening, another Grammy, another gold Cd award, and a 7 million airplay award from BMI(only 7 writers from America achieved this). It also means if you playing the song continuously it would play for 40 1/4 years! "

 "Il faut ajouter que la statue va être érigée, un autre Grammy Award est prévu, un autre CD d'or et un prix pour 7 millions de diffusions radio par BMI (chiffre atteint par 7 auteurs américains seulement). Celà signifie que si vous pouviez jouer la chanson  (The Dock Of the Bay) en continue, ça ferait 40 années 1/4 de diffusion."

Photographiés au "Georgia Music Hall Of Fame"  de gauche à droite / Harry Warner (BMI) Phil Walden, Zelma Redding, Otis Redding Jr et Alan Walden. lors de la remise du certificat pour 7 millions de diffusions de "The Dock Of The Bay"

"copyright Georgia Music Hall Of Fame"

 

Otis a toujours mis un point d'honneur à ne jamais manquer un engagement. En décembre 1967, on lui conseilla de ne pas faire le vol  depuis Cleveland, Ohio à Madison, Wisconsin en raison des mauvaises conditions météorologiques. Ne voulant pas décevoir ses admirateurs, il s'envola néanmoins sur ces mots, "Gotta make that Dollar" (on va gagner ces dollars). Son avion s'écrasa dans un lac, en approche de l'aéroport. Ben [Cauley, seul survivant] était le seul passager qui ne savait pas nager et qui n'avait pas non plus sa ceinture de sécurité. S'il était resté dans l'eau glacée quelques minutes de plus, il serait mort gelé.

 

Avant Otis, je n'avais jamais eu autant d'affection envers quelqu'un, en dehors de ma propre famille et de mes proches. Ce fut le premier. Cette nuit tragique du 10 décembre 1967, j'ai non seulement perdu mon meilleur ami, mais aussi une grosse partie de mon cœur. A son enterrement,  (le troisième seulement à se tenir dans l'auditorium municipal de Macon), je vis que je n'étais pas le seul. Jackie Wilson, Solomon Burke, Joe Tex, James Brown, Sam and Dave, Gene Chandler, Johnnie Taylor, Mabel John, Joe Simon, Clarence Carter, Percy Sledge, Arthur Conley étaient parmi ceux qui remplissaient cet auditorium de 2000 places ou attendaient  dehors. Pas une fleur, pas un bouton ne manquait. Ces personnes exprimaient leur RESPECT pour l'homme de “LOVING YOU TOO LONG”.

 

Trente ans plus tard, le dernier coffret d'Otis Redding a été proclamé coffret d'or. Le film de sa vie doit [devait] être tourné en 1999. Le Big O Ranch s’étend sur près de 40 hectares et deux de ses merveilleux enfants ont construit leur propre maison au ranch, près de sa femme, Zelma et de son frère, Rogers. Chaque jour je pense à Otis, à toute les joies et à tous les plaisirs que nous avons connus.  J'espère que notre économie, notre cité et notre Etat, continuerons à honorer cet homme qui a su garder la tête sur les épaules. J'espère pouvoir un jour me trouver devant la première statue d'un homme noir à Macon et je sais déjà qui ce sera.

 

Alan Walden-1999 (traduction de l'anglais par Patrick Montier)

 

   

Zelma Redding devant le ranch et la maison principale

Zelma et les enfants là où repose Otis

 

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